Le médaillier de Séguier
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La numismatique est probablement l’une des premières passions intellectuelles du jeune Séguier. Si l’on en croit les Anecdotes rassemblées par Jean-César Vincent en 1785, ce serait « une médaille d’Agrippa qu’il gagna à des jeux d’écoliers » qui aurait opéré « une révolution subite dans ses goûts et dans ses idées »1. La médaille en question, probablement un as de Nîmes, occupe par la suite une place « bien distinguée » dans le médaillier de 1784, en tant que « germe de ses connaissances ».
Si Séguier ne publia rien en matière de numismatique, il s’y illustra et nourrit tout au long de sa vie un intérêt constant pour la « science des médailles ». Les correspondances des années 1720, avec le président de Caulet à Toulouse, le père Panel à Avignon ou le baron de la Bastie à Carpentras, révèlent dès cette époque une pleine maîtrise des us, des pratiques et du langage propre à cet univers où la passion du collectionnisme se mêlait étroitement à la construction d’un savoir historique principalement attentif aux reconstitutions chronologiques.
Les travaux de Krysztof Pomian, de Marie Veillon ou de Thierry Sarmant ont montré que le premier tiers du XVIIIe siècle avait été marqué par un relatif déclin de la numismatique – du point de vue des pratiques de la collection toutefois, et non du savoir scientifique. Scipione Maffei, dans les pas duquel Séguier s’engagea à partir de 1732, pensait ainsi que l’étude des inscriptions était plus utile que celle des médailles, comme il l’affirme dès 1720 en mettant en ordre les collections de l’université de Turin. Séguier n’eut jamais une vision aussi tranchée, n’hésitant jamais à croiser et à confronter l’ensemble des sources et des données, comme il le fit dans sa Dissertation sur l’ancienne inscription de la Maison Carrée de 1759.
Ses voyages à travers l’Europe savante, entre 1732 et 1736, lui permirent d’acquérir une excellente connaissance des grandes collections de son époque. À Paris, il noua des liens solides avec le garde du cabinet royal, Claude Gros de Boze. Il visita les collections des grandes figures marseillaises (Félix Carry), aixoises (Pierre Cardin Lebret), lyonnaises (Antoine Laisné), parisiennes (Pierre-Daniel de Clèves, Charles d’Orléans de Rothelin, Eugène Pierre de Surbeck), londoniennes (Hans Sloane) et oxoniennes. En Italie, il fréquenta les fonds vénitiens (notamment ceux d’Apostolo Zeno) puis, depuis Vérone, romains et turinois, sans parler de la remarquable collection locale de Muselli. On est malheureusement peu renseigné sur l’étendue de sa propre collection véronaise. Ses lettres révèlent quelques achats, mais en petit nombre. En octobre 1752, il acquit ainsi une vingtaine de monnaies romaines sur lesquelles il ne s’étend guère, se plaignant de « l’excès » des prix pratiqués à Venise.
La correspondance qu’il entretint à partir de 1750 avec Karl-Julius Schlaeger, bibliothécaire et garde des médailles du duc de Saxe-Gotha, montre qu’il suivait avec attention l’actualité bibliographique européenne. Schlaeger était un excellent informateur de ce qui se produisait dans l’Empire. Séguier, en retour, lui procura de nombreux catalogues de médailles, dont celui du cabinet du grand-duc de Toscane, qu’il recopia en totalité, ainsi qu’une grande quantité de livres qui alimentèrent l’exceptionnelle bibliothèque numismatique du savant saxon.
Ces échanges savants, qui s’accrurent à la fin de la période véronaise, contribuèrent visiblement à renouveler son intérêt pour ce genre de collection, à une date où l’abbé Barthélemy l’avait sollicité pour l’aider à enrichir le cabinet du Roi. Séguier avoua ainsi à Schlager, en avril 1755, qu’il était en train de retrouver « le goût pour ces monuments antiques », ayant, affirmait-il, « poussé la suite que je fais des médailles qui appartiennent aux peuples et aux villes grecques et latines ». Cette dynamique perdura après le retour à Nîmes, au point d’expliquer à Schlaeger, en 1758, qu’il possédait une « bonne provision de médailles antiques, qui s’augmente tous les jours ».
C’est toutefois l’entrée en correspondance avec Joseph Pellerin, en 1759, qui s’avéra déterminante pour Séguier. Les relations épistolaires qu’il noua avec celui-ci furent particulièrement intenses, comme le révèlent les lettres conservées qui concernent seulement la période 1759-1761. L’échange de monnaies, et parfois le don, y tiennent une place importante. Le grand numismate parisien céda ainsi à Séguier un lot important de « médailles des villes », après que celui-ci se fut dessaisi d’une monnaie d’Apamée, fort rare, qui manquait à cette figure de premier plan de la numismatique européenne. Leurs relations dépassèrent très vite le stade des échanges de bons procédés pour s’inscrire dans une dynamique intellectuelle particulièrement féconde. La méthode de classement développée de manière empirique par Pellerin, qui souhaitait œuvrer « pour le bien des lettres et pour faire connaître à ceux qui veulent travailler sur l’histoire, la chronologie, la géographie ancienne », ne fut pas sans influence sur Séguier. Pellerin avait en effet opté pour un classement géographique, à la fois simple et efficace, là où l’usage reposait sur l’ordre alphabétique des légendes. Son système lui permettait de « reconnaître d’où sont celles qui n’ont point de légendes, celles qui n’ont que des lettres ou demi-légendes, et celles qui contiennent des noms de villes dont il y a plusieurs de même nom en différentes provinces ». Sa remarquable maîtrise des langues anciennes et l’étendue de son savoir lui permettaient de contextualiser et « d’expliquer » les médailles avec une grande finesse. Séguier, dès 1760, ne cessa de pousser Pellerin à « donner au public » le catalogue de ses médailles, conscient de la valeur irremplaçable de ce savoir accumulé. Il avait déjà fait dessiner près de 1500 pièces, mais il se heurtait aux coûts prohibitifs de la gravure. Les 10 volumes qu’il publia entre 1762 et 1778, alors qu’il perdait progressivement la vue, forment un catalogue raisonné de sa propre collection qui comprenait, au moment de sa vente au cabinet du roi, en 1776, près de 33 000 « médailles ».
Séguier connaissait par ailleurs Joseph Michellet d’Hennery, le seul collectionneur de médailles du royaume à pouvoir rivaliser avec Pellerin, mais leurs échanges ne dépassèrent que rarement le cadre de la sociabilité et de la quête de l’objet, sans jamais revêtir la densité scientifique des lettres échangées avec Pellerin. Leur correspondance s’éteignit très tôt, tout comme celle qu’il essaya d’établir, en vain, avec l’abbé Eckhel (qu’il rencontra à Nîmes).
Mais à ces (grandes) exceptions près, l’activité numismatique de Séguier se concentre de fait principalement sur l’espace méridional. Outre ses liens avec des collectionneurs locaux (le chanoine Joseph Pichony, le financier Laurent Boudon de Clairac), il fut en relation avec l’abbé Gérouin, curé de Fourques, le père Elizée, carme d’Aix-en-Provence, les pères Béraud et Saurin de Lyon ou l’abbé Bertrand de Toulouse. C’est avec le docteur Calvet d’Avignon, et surtout avec le président de Saint-Vincent à Aix, que les liens furent les plus durables, d’autant que ce dernier était en liaison régulière avec Pellerin. Le magistrat aixois lui soumit ainsi ses écrits relatifs aux médailles, notamment son Mémoire sur les monnaies et les monuments des anciens Marseillais (1771), lui envoyant régulièrement ses acquisitions, par l’intermédiaire des connaissances communes arlésiennes, dès lors qu’il doutait de leur identification. Séguier de son côté lui procura quelques ouvrages rares, dont le Diccionario numismatico general de Gussem (1773), lui offrant même les Mélanges du président d’Orbessan. Le contenu de leurs échanges est assez révélateur de la rare maîtrise qu’avait fini par acquérir Séguier dans la science des médailles.
Le médaillier de Séguier, autant que l’on puisse en juger, n’avait pourtant rien d’exceptionnel. Il n’est ainsi jamais mentionné dans les relations de voyage, contrairement aux collections de naturalia. Un inventaire dressé en 1816 recense 94 monnaies d’or, 346 d’argent, 255 de billon et 698 de « cuivre »2, mais la collection léguée en 1784 avait alors probablement subi d’importantes pertes et prélèvements. Ce recollement tardif ne nous donne ainsi qu’une image tronquée de son état initial, même s’il est peu probable qu’elle ait été très importante. Elle était abritée en 1784 dans une armoire provençale réaménagée, ce qui en limitait de facto la capacité.
Les collections se signalaient par la cohérence des suites, excluant les doubles. On peut de fait parler d’une collection de référence, d’autant qu’il possédait un imposant « musée de papier ». Ses champs d’investigation s’étaient de surcroît élargis avec le temps. Il chercha ainsi à embrasser la totalité du monde antique. Il n’hésita pas à passer à côté des « occasions » en opérant un choix très directif dans ses acquisitions. S’il acquit en 1767 une collection de 800 pièces, il n’en refusa pas moins, la même année, une dizaine de médailles rares du Bas-Empire en raison d’un prix jugé excessif et d’une hétérogénéité trop manifeste.
L’« explication » compta ainsi toujours davantage que la possession, dont il affirmait avoir été « guéri » dans l’enfance, en tombant malade à la suite d’une occasion manquée. Au-delà du topos, l’anecdote éclaire bien le rapport que Séguier entretint constamment à l’objet, même s’il ne put toujours s’abstraire de tout affect. Si l’on ne peut parler d’une grande figure du monde de la numismatique, force est de constater qu’il fut un passeur et un diffuseur de savoir, en donnant une dimension éminemment scientifique à la collection.
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Le médaillier de Jean-François Séguier.
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« Un musée de papier » : les médailles du cabinet du roi dessinées par Séguier.
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« Un musée de papier » : les médailles du cabinet du roi dessinées par Séguier.
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Dupondius de type IV, dit « à la patte de sanglier ».
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Dupondius de type IV, dit « à la patte de sanglier ».