L’herbier de Jean-François Séguier
Auteur du texte
Texte
Texte
Il est difficile, faute d’inventaire, de connaître l’importance de l’herbier laissé par Séguier en 1784. En 1777, il affirmait posséder « plus de dix mille plantes séchées ». Conformément aux pratiques du temps, elles étaient soigneusement fixées sur du papier épais et étiquetées (dénomination et souvent lieu de récolte), chaque feuille comportant un nombre variable d’échantillons délimités par un trait au crayon. Le poids de l’expérience, largement partagée, ne serait-ce qu’avec Haller, avait permis au botaniste nîmois de parvenir à une bonne maîtrise des techniques de conservation, en réussissant notamment à préserver de manière optimale les couleurs et les formes des plantes.
Depuis 1773, les liasses étaient conservées dans une armoire au rez-de-chaussée de l’hôtel Séguier. L’ensemble passe ensuite à l’Académie royale de Nîmes à qui il est confisqué en 1793, lors de la suppression des compagnies savantes. L’ensemble est ensuite laissé en déshérence, étant à peine mentionné dans le récolement de 1816. Si l’on en croit les notes laissées en 1884 par Stanislas Clément, conservateur du Musée d’histoire naturelle de Nîmes, ce dernier aurait retrouvé vers 1880 des paquets dans « tous les coins et réduits de la bibliothèque », mais également dans les locaux de l’hôtel de ville. Ayant tout rassemblé, il dénombre alors 144 liasses qui sont mises en carton. Si tout ce qui est alors récupéré provient bien des fonds laissés par Séguier, cela ferait de cet ensemble un herbier majeur, comparable à celui que laisse Michel Adanson (entre 28 et 30 000 échantillons) et plus important, en termes quantitatifs du moins, que ceux de Linné (estimés à 19 000 échantillons au moment de la vente à Smith en 1784) et de Lamarck (18 à 19 000 échantillons).
La constitution de ce remarquable instrument s’étend en fait sur une période de plus de soixante ans. Les premières herborisations remontent aux années 1720. Sans formation académique dans un premier temps, Séguier écume alors régulièrement les environs de sa ville natale en compagnie de Pierre Baux, son ami le plus proche, de l’apothicaire Jean-Dominique Bertram et du médecin Jean Mathieu, qui possède – fait notable à Nîmes – une remarquable bibliothèque botanique. Il acquiert ainsi, par l’expérience, les rudiments de la pratique, ainsi qu’une bonne connaissance des usages descriptifs fondée sur la fréquentation des grands classiques de la botanique (Bauhin, Lobel, Ruel notamment) et sur les travaux de Tournefort et de Ray. Son séjour à Montpellier, pour y poursuivre ses études de droit, lui donne l’occasion, à partir de 1723, de suivre les démonstrations du jardin des plantes, conduites par François Chicoyneau, ce qui lui permet de structurer davantage ses acquis tout en acquérant des bases académiques solides. Il rassemble ainsi en peu d’années un premier herbier assez remarquable, dont il confie la surveillance aux siens et à son ami Baux lors de son départ à la fin 1732.
Durant ses trois années de périple à travers l’Europe, il parvient à étendre rapidement l’étendue de ses connaissances en fréquentant le Jardin du Roi à Paris ou le Chelsea Physic Garden en 1736, tout en parcourant l’essentiel des grands jardins botaniques néerlandais. Il rencontre alors la plupart des grands acteurs du savoir botanique de son temps, notamment les frères de Jussieu, Hans Sloane, le docteur Mead ou Herman Boerhaave, nouant de surcroît des relations qui s’avèrent ensuite déterminantes dans la constitution de son réseau d’échanges (Gronovius à Leyde, Apostolo Zeno à Venise).
C’est à la demande de l’abbé Bignon, bibliothécaire du Roi, qu’il procède au classement des 22 000 planches d’histoire naturelle de la bibliothèque, reparties en 33 volumes in folio, dont un tiers n’était pas catalogué. L’abbé lui avait prescrit d’employer « les lois et méthodes de Tournefort ». Séguier utilise bien les classes du botaniste aixois, ainsi que ses dénominations quand elles existent dans les Institutiones rei herbariæ, mais il les accompagne toutefois, reportés en rouge, « des principaux synonymes qui sont dans les meilleurs auteurs de botanique ». Il se sert ainsi « indifféremment [des auteurs] où j’ai cru que la plante était mieux décrite », manière de procéder qu’il emploie par la suite dans ses grandes publications de botanique. Après six mois de labeur, il parvient à dresser un répertoire méthodique facilitant le repérage des plantes, en utilisant des combinaisons de lettres (volumes) et de chiffres (planches).
Ce travail de classement contribue à alimenter – et peut-être même se trouve à l’origine de – la bibliothèque botanique qu’il « méditait », dont il parle pour la première fois en 1735. Il y travaille en tout cas d'arrache-pied durant son séjour parisien, passant de longues journées dans les bibliothèques parisiennes et londoniennes. Malgré les assurances du docteur Falconet, il ne réussit pas à la faire imprimer à Paris. Elle parait en 1740 à La Haye, chez Jean Neaulme, grâce à l’aide constante de Gerard Jakob Van Swinden, avocat à la cour de Hollande.
Désormais installé à Vérone, Séguier a entre-temps classé le fruit de ses herborisations réalisées entre 1733 et 1736, qu’il complète par les nombreux dons qu’il a reçus et qu’il reçoit régulièrement, que ce soit sous forme de plantes sèches ou de semences. Cette quête est par ailleurs constamment alimentée par d’intenses campagnes d’herborisation, souvent solitaires, dans toute l’étendue du Véronais et du Vicentin. L’herbier devient ainsi un véritable outil de référence à partir duquel il entreprend la rédaction des deux volumes des Plantae veronenses, qui paraissent à Vérone en 1745, suivis en 1754 des Plantarum quæ in agro Veronensi reperiuntur, augmenté d’un supplément à sa Bibliotheca botanica. Cet important travail de recension exhaustif d’un territoire délimité est particulièrement révélateur du pragmatisme avec lequel il appréhende les systèmes de classification, n’hésitant pas à multiplier les références – ce que lui reproche d’ailleurs ultérieurement François Boissier de Sauvages. Il est ainsi réducteur de considérer Séguier comme un partisan exclusif de Tournefort, même si de toute évidence il s’appuie essentiellement sur les classes définies par ce dernier, qu’il considère comme « son auteur préféré ». La lecture des lettres – imparfaitement conservées – qu’il adresse à Linné à partir de 1740 met en tout cas bien en avant cette absence de systématisme dogmatique.
Le vaste réseau d'échanges savant qu’il parvient à construire en peu d’années, autant que ces publications, contribuent à partir des années 1740 à lui assurer une solide réputation (Linné le cite notamment dans sa Philosophia botanica), d’autant qu’il était passé maître dans l’art « d’obliger » ses correspondants. L’étude des liens les plus forts montre toutefois que cette structure repose en réalité sur un nombre assez réduit de figures savantes qui l’influencent durablement. C’est le cas de Giulio Pontedera, directeur du jardin botanique de Padoue depuis 1719, hostile au système linnéen (François Boissier de Sauvages le qualifie de « ténor » de Séguier), de Giovanni Bianchi, de Johannes Gessner et, à la toute fin du séjour véronais, de Albrecht von Haller.
Comme dans d’autres domaines de l’activité savante, le retour à Nîmes semble avoir mêlé continuité et rupture, aboutissant à de nouveaux équilibres, moins féconds à première vue que ceux qui avaient caractérisé le séjour véronais. Séguier récupère son premier herbier qu’il intègre dans la masse des liasses réunies à Vérone. Tout comme son Index absolutissimus pour les inscriptions, cette volumineuse collection de plantes sèches devient plus que jamais un véritable outil de référence, alimentant le quotidien de l’activité savante. Dans une lettre à Haller, en date de 1768, Séguier évoque cette nécessaire mise en ordre du savoir face à la densification croissante des connaissances. Le va-et-vient constant entre l’herbier et les quelque six cents ouvrages de botanique de sa bibliothèque s’appuie ainsi sur un recours constant à ses mémoires et à ses notes, mais aussi à sa solide mémoire, « se contentant de prendre indifféremment les titres de tous les livres qui pouvaient m’intéresser ».
La recomposition des réseaux de correspondance et d’échange entraîne par ailleurs un véritable recentrage sur l’espace national, à l’exception notable de Carlo Allione. Elle aboutit ainsi au renouvellement et au rajeunissement des interlocuteurs, bien plus sensibles aux idées – et à la philosophie – de Linné. Peut-on pourtant parler d’un fossé générationnel ? C’est fort probable. Antoine Gouan, Pierre-Joseph Amoreux, Philippe Isidore Picot de Lapeyrouse, l’abbé Pouret prennent ainsi une place déterminante dans les réseaux d’échanges qui se structurent dans les années 1760-1770. Séguier fait dès lors un usage plus fréquent du système binominal, en tant qu’outil de dénomination.
Enfin, il n’en continue pas moins à cultiver son précieux jardin, à tous les sens du terme. L’entretien de son hortus botanicum n’est jamais chez lui une activité distincte : l’étroite osmose existant entre celui-ci, l’herbier et la bibliothèque caractérise ainsi la manière dont il articule toujours savoir et pratique : elle lui permet, dans les dernières années de son existence, de faire figure « d’oracle », tant son savoir botanique est vaste, bien qu’en décalage avec les usages des générations montantes. Il est significatif qu’il ait été terrassé par une attaque « d’apoplexie » alors qu’il venait de parcourir son jardin.
Métadonnées
Identifiant
Période concernée
Référence(s) bibliographique(s)
Identifiant
Licence
Citer cette ressource
Collection
1- Herbier
Métadonnées
Description
Planches de l’herbier de Séguier
Auteur
Source
Date
2- Herbier
Métadonnées
Description
Planches de l’herbier de Séguier