L’inscription à Jupiter héliopolitain et à Nemausus
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Malgré l’éloignement véronais, Séguier se tient constamment informé des nouvelles découvertes qui fleurissent dans sa cité natale au moment où débutent les travaux d’aménagement de la Fontaine. Son plus jeune frère, Joseph-Maximilien, lui envoie en abondance transcriptions et dessins, favorisé par la protection que lui accorde Jean Mauric, architecte et oncle maternel de Natoire1. Le long mémoire qu’il lui envoie en 1740 est la description la plus complète et la plus précise que l’on connaisse à ce jour des travaux d’exhumation des vestiges. De nombreuses inscriptions sont par ailleurs publiées dès 1739, notamment dans le Mercure ou dans les Mémoires de l’Académie des Inscriptions et belles-lettres en 1743, par Claude Gros de Boze et le baron de la Bastie.
Outre son frère, Séguier peut aussi compter sur son oncle, Jacques de Rozel qui lui envoie en 1752 une copie du très bel autel qui vient d’être découvert sur le site de la fontaine, alors que l’on attaque la construction de la grande terrasse. Cet envoi est visiblement assorti d’une demande « d’explication » émanant des membres de l’académie locale qui vient d’être refondée (érigée en 1682, elle était tombée en déshérence à la fin des années 1710). Séguier, malgré la distance qui le sépare de sa ville natale, en a été élu associé étranger. La longue réponse en forme de mémoire explicatif qu’il envoie à son oncle en septembre est lue en novembre devant l’assemblée par le marquis Alexandre Pierre-Henri de Rochemore (1728-1770), féru d’antiquités.
En préambule, Séguier expose d’abord les données factuelles dont il dispose sur le culte de l’une des divinités mentionnées dans l’inscription, Jupiter Héliopolitain. Rattachant la divinité à la ville de Baalbek, il appuie sa démonstration sur une des deux inscriptions gravées sur les colonnes de l’entrée monumentale du sanctuaire2. Elle a été reproduite par plusieurs voyageurs et notamment, quelques années auparavant, par Richard Pococke dans sa Description of the East (Londres, 1745, p. 107), avant de reparaître un peu plus tard dans l’ouvrage de Robert Wood. Séguier rappelle par ailleurs que Beyrouth (Beryte/Berytus), dont l’histoire est intimement mêlée à celle du sanctuaire voisin, doit beaucoup à Agrippa et renvoie ses lecteurs aux effigies qui figuraient sur le droit des monnaies de bronze émises dans l’atelier monétaire de Nîmes, les célèbres monnaies « au crocodile ».
Dans un second temps, Séguier s’efforce de restituer avec le plus de précision possible l’inscription, en prenant soin de représenter les différentes ligatures de lettres de la face principale de l’autel. Le commentaire qu’il en donne ensuite peut être qualifié au premier abord d’explication mot à mot, ligne à ligne. Il est destiné à justifier les développements proposés, puisqu’il fallait donner un texte latin explicite, et, une fois cette étape achevée, exposer de manière méthodique les données que l’on pouvait en dégager. Les observations qui se rapportent à la divinité syrienne occupent ainsi une place prépondérante dans ce développement.
Séguier n’en néglige pas pour autant la mention à Nemausus. L’association des deux divinités citées n’a rien d’évident. Pour étayer son propos, il s’appuie donc sur une autre inscription, relativement connue, dans laquelle des divinités de peu de rayonnement (qualifiées de « topiques »), connues exclusivement à Nîmes, sont associées au dieu principal de la cité, qui domine ainsi le panthéon du site de la Fontaine.
Attirant ensuite l’attention sur la dénomination même du dédicant, il insiste sur la mention de la tribu Fabia, en précisant la fonction qu’avait le classement des citoyens selon les trente-cinq tribus dans la vie politique romaine. Il montre ainsi la distance qui pouvait exister entre les citoyens romains originaires de Nîmes (cité de droit latin) et le dédicant de l’autel. S’appuyant sur toute une série de parallèles épigraphiques ou littéraires, il met bien en évidence l’extranéité du dédicant, en ne négligeant pas ce qui sera défini comme l’origo. Pour Séguier, Tiberinus se serait donc installé à Nîmes, apportant avec lui le dieu d’Héliopolis qu’il avait associé à la divinité locale.
La principale difficulté du texte repose en fait selon lui sur l’emploi de l’abréviation PP, qu’il développe en p(rimi)p(ilaris) (premier centurion de la première cohorte). Utilisant abondamment le recueil de Gruter, qui fait alors figure d’outil de référence (notamment l’édition de 1707 qu’il possède), il appuie son propos sur de multiples références, toutes commentées.
Le texte lu en 1752 par le baron de Rochemore, conservé aujourd’hui dans les archives de l’académie, semble avoir très tôt circulé sous forme de copie. Le volume VII de l’Histoire civile, ecclésiastique et littéraire de la ville de Nîmes de Léon Ménard, paru en 1759, reprend ainsi les conclusions de Séguier, mais son auteur prête davantage attention aux décors en bas-relief, que Séguier ne connaissait qu’à travers le dessin envoyé par son oncle. Séguier s’est en fait borné à identifier la divinité figurant sur la face latérale gauche à « quelque génie ou Dieu topique que ce soldat vénérait » à Baalbek, mais Ménard la rattache « à l’image de la Diane d’Éphèse » (ce que F. Lenormant dément en 1876, en montrant qu’il s’agissait en réalité d’une représentation du dieu d’Héliopolis). Séguier s’était par ailleurs borné à constater que « Tibérinus n’était qu’un soldat ou un vétéran qui était resté chez nous », là où Ménard affirme « qu’il devait y avoir un commerce et des relations établies entre les habitants de Nîmes et ceux de Béryte ».
Si l’explication donnée par Séguier circule au XVIIIe siècle dans les milieux nîmois, elle n’est pour autant pas la seule proposée. Une autre interprétation, liée à la précédente (quoique moins connue des savants locaux), paraît en effet en Italie en octobre 1754. Scipione Maffei, dans son Dittico Quiriniano publicato e considerato, transcrit en effet l’inscription sous une forme un peu différente de celle qui se trouve dans la lettre adressée par Séguier à l’Académie. Cette transcription passe ensuite dans l’Ad novum thesaurum veterum inscriptionum de Sebastiano Donati, qui s’appuie sur les informations fournies par Séguier tout en reprenant le texte de Maffei3.
Cette tradition d’interprétation perdure jusqu’à Herzog, en passant par le recueil classique d’Orelli complété par Henzen. Les savants qui élaborent les volumes des Inscriptions antiques de Nîmes ou de l’Histoire générale de Languedoc s’appuient en revanche sur le travail de Ménard et s’attachent surtout au décor et à son interprétation4. Espérandieu renouvelle ainsi l’analyse d’une des faces en identifiant un carnyx gaulois, pris jusqu’ici pour un glaive.
La lettre de 1752 permet en tout cas d’attribuer à Séguier un rôle majeur dans l’interprétation de cette découverte importante. Soucieux de parvenir au texte authentique, il s’attache à lire avec précision ce qui est gravé sur la pierre, avant de procéder au développement méthodique des abréviations, suivant en cela la démarche qu’il expose plus tard dans les deux versions des prolégomènes de son Index absolutissimus. La construction de son commentaire est tout aussi intéressante. Au-delà d’une simple lecture linéaire, elle obéit à des règles méthodologiques qui donnent au découpage du texte une importance de premier ordre : les mots choisis (isolément ou en groupes constituant les formules) relèvent d’un choix argumentatif et explicatif. Ce n’est pas seulement la cohérence de la phrase latine qui importe, même si elle reste essentielle. La séquence des mots ou leur assemblage, ce que Séguier appelle « le style lapidaire », fixe ainsi l’articulation du commentaire. Les mots ou groupes de mots qu’il isole font apparaître des « classes », ce qui permet de les rapprocher des textes déjà connus et de caractériser aisément ceux qui apparaissent de manière récurrente ou qui, au contraire, constituent des inédits. En ce sens, Séguier est fidèle à l’enseignement qui se dégageait des grands recueils anciens, et notamment de celui de Gruter, complété par les index de Scaliger. Le commentaire est ainsi nourri à chaque pas. Maffei et Séguier savent toutefois dépasser la compilation. Ils s’attachent à corriger les textes publiés, « nettoyant » avec rigueur, au péril parfois de l’hypercriticisme, les recueils épigraphiques dans lesquels paraissaient des duplications d’inscriptions par suite d’une mauvaise connaissance du texte, tout en y intégrant les nouvelles découvertes, qui sans cesse venaient accroître la masse documentaire.
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Inscription à Jupiter Héliopolitain et Nemausus (CIL, XII, 3333).
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Description
Inscription à Jupiter Héliopolitain et Nemausus (CIL, XII, 3333).
Auteur
Source
Copie de l’inscription à Jupiter Héliopolitain et Nemausus. Recueil de dessins de Ménard.
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Copie de l’inscription à Jupiter Héliopolitain et Nemausus. Recueil de dessins de Ménard.
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Copie de l’inscription à Jupiter Héliopolitain et Nemausus par Séguier.
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Description
Copie de l’inscription à Jupiter Héliopolitain et Nemausus par Séguier.