L’Index absolutissimus
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C’est en 1803 que Simon Chardon de la Rochette (1753-1814) enlève à la bibliothèque publique de Nîmes, vingt ans après la disparition de Séguier, les huit grands volumes épigraphiques qui avaient tant contribué à établir sa réputation. Ces manuscrits rejoignent la bibliothèque impériale où ils sont soigneusement reliés aux armes de l’empereur1. Ils sont par la suite régulièrement consultés et utilisés, notamment par Otto Hirschfeld qui rend en 1888 un hommage appuyé à son auteur, alors que Séguier est en grande partie tombé dans l’oubli.
Les trois premiers volumes de ce corpus, précédés de prolégomènes, contiennent une histoire critique de tous les ouvrages traitant ou rapportant des inscriptions latines, étrusques et grecques jusqu’à l’année 1768. S’étendant sur près de 1600 pages, rédigé en latin, ce texte forme une remarquable – et très précoce – histoire raisonnée de l’épigraphie2. L’Inscriptionum antiquarum Index absolutissimus, composé pour sa part deux volumes, forme à proprement parler le catalogue des inscriptions, soit près de 1 100 pages3. Elles y sont rangées par ordre alphabétique, pour en faciliter le repérage. Les sources (imprimées ou manuscrites) sont systématiquement répertoriées de manière concise mais avec précision. Une table des auteurs cités dans l’index forme un sixième volume4, auquel s’ajoutent deux épais cahiers rassemblant des inscriptions latines et grecques, accompagnées de notes5.
Les travaux épigraphiques de Séguier ne se limitent toutefois pas à ce seul ensemble. Chardon de la Rochette s’emportent que la partie la plus achevée des travaux de Séguier. Il laisse à Nîmes la masse imposante des recueils d’inscriptions plus anciens et des notes de travail de Séguier. Ces états intermédiaires révèlent les différentes strates du labeur inlassable qui aboutit à la réalisation du recueil général, dont les origines remontent en fait aux années 1720-1730.
C’est en effet peu après 1725 – après son retour de la faculté de droit de Montpellier – que Séguier entame la rédaction d’un premier catalogue ; il se limite alors aux inscriptions nîmoises. Ce manuscrit, bien conservé, est particulièrement intéressant car il révèle dès cette époque une bonne maîtrise de l’information (notamment de la bibliographie) et surtout un souci louable d’exactitude, notamment formelle, servi par une remarquable maîtrise du dessin (qu’il apprend probablement auprès des frères Natoire). Il s’intéresse peu après aux inscriptions de Narbonnaise, qu’il commence à recueillir au gré des opportunités, en parcourant notamment les collections anciennes, comme celle des Bornier de Teillan. Les liens épistolaires que Séguier noue avec le père Alexandre Xavier Panel (1699-1777) à partir de 1728 lui permettent par ailleurs d’accéder, via les réseaux jésuites, à bon nombre d’inscriptions ultramontaines qui ne figurent pas dans le recueil de Gruter.
Ce sont cependant les liens qu’il noue avec Joseph de Bimard, baron de La Bastie (1703-1742), qui s’avèrent les plus féconds. La Bastie est un remarquable numismate (il réédite la Science des médailles du père Jobert en 1739) et son influence sur Séguier se révèle déterminante. Il lui fait notamment prendre conscience de la nécessité de comparer et de croiser les sources, tant littéraires que matérielles. Il élargit aussi considérablement ses horizons, en le mettant en relation avec des figures savantes de première importance, comme le président Bouhier avec qui il échange une riche correspondance.
Le tournant majeur dans la longue carrière épigraphique de Séguier reste toutefois sa rencontre avec Scipione Maffei en octobre 1732 : c’est véritablement cet événement qui commande la mise en chantier de l’Index. Après avoir publié en 1727 son Ars critica diplomatica, le marquis a donné au public en 1732 sa Verona illustrata, une de ses œuvres majeures. Fort de ses succès littéraires, soucieux de reconnaissance, il a décidé d’entreprendre enfin le Grand Tour européen qu’il méditait depuis une dizaine d’années. Ce périple doit lui permettre de rassembler les matériaux nécessaires à la réalisation d’un plus vaste projet, à une époque où il se passionne, comme tant de ses contemporains, pour la question de la langue primitive. Il a en effet exposé en 1732 dans un Prospectus universalis Collectionis latinarum veterum ac græcarum, paganicarum et christianiarum inscriptionum sa volonté de réaliser un corpus d’inscriptions dépassant largement l’ampleur des travaux de Gruter. Ce vaste labeur, qui aurait dû former une dizaine de grands in quarto, avait été ébauché dès le début des années 1720 par la mise en chantier d’un Ars critica lapidaria, qui n’est publié qu’en 1765 par Séguier, dix ans après la mort de son mentor.
Maffei cherche par ailleurs depuis des années un aiutante di studio susceptible de l’épauler dans ses travaux, tout en étant un parfait disegnatore. Il le trouve à Nîmes en octobre 1732. Durant leurs trois années de voyage, à Paris, à Londres, et surtout à Venise, son « fidèle Achate » recopie un nombre immense d’inscriptions. Fait révélateur, un des carnets de Séguier compte 28 folios denses où figurent les titres des « Livres qu’il faut voir et examiner pour l’index des inscriptions ». L’annonce, dès 1735, par l’entremise du baron de la Bastie, de la préparation du Novus Thesaurus Veterum Inscriptionum de Muratori (dont le premier tome est imprimé en 1738) vient toutefois bouleverser les projets du marquis qui, dépité, se brouille durablement avec son confrère et renonce à son projet – ce qui n’empêche pas Séguier de continuer inlassablement son travail de collecte.
Séguier recopie ainsi un grand nombre d’inscriptions à travers toute l’Étrurie en septembre-octobre 1738, à l’occasion du voyage entrepris par Maffei pour étudier les Tabulæ Iguvinæ6. C’est toutefois lors du voyage et du séjour à Rome, en 1739, que la moisson est la plus ample. Il s’agit alors d’acquérir le plus d’inscriptions possibles pour constituer le Museum Veronense. Non content de s’occuper de la mise en caisse des stèles et fragments lapidaires, Séguier recueille près de 4 000 inscriptions consignées dans un fort volume de belle facture7 .
De retour à Vérone, il continue inlassablement sa besogne en s’efforçant d’obtenir copie de toutes les inscriptions publiées par l’intermédiaire d’un réseau de correspondance dont les assises se renforcent notablement au début des années 1740. La genèse de ce travail de longue haleine est difficile à reconstituer. La nature même du recueil connaît entre-temps une nette inflexion. Dans une lettre à Carl Julius Schlaeger (décembre 1750), Séguier évoque désormais « un index de toutes les inscriptions qui sont imprimées pour s’assurer d’un coup d’œil, sans feuilleter des centaines et centaines de volumes, si une inscription est imprimée et dans quel livre ». Il estime alors l’ouvrage « presque achevé », ce que tendrait à confirmer la date de 1749 qui figure en tête du Lat. 16934. Ce travail n’a alors rien de confidentiel. Il contribue à étayer la réputation de Séguier qui, dès la fin des années 1740, multiplie les affiliations académiques. L’ouvrage jouit ainsi déjà d’une bonne notoriété au point que Gori demande « hardiment » à Séguier de le lui prêter peu après la mort de Maffei.
Les rajouts reportés dans la colonne de gauche montrent qu’il ne cesse par la suite d’enrichir l’index, tout en travaillant au catalogue raisonné de tous les auteurs qui forme les trois premiers volumes, dont les dernières mentions s’arrêtent en 1768. Séguier a, entre-temps, achevé la mise en forme de l’Ars critica lapidaria que Maffei avait laissé en friche (l’ouvrage est publié par Sebastiano Donati à Lucques en 1765). Ce travail complexe, d’une grande densité, contribue de toute évidence à affiner sa réflexion, comme le révèlent les deux versions connues des prolégomènes.
Ceux-ci semblent en effet avoir été rédigés assez tardivement, au moment où Guillaume Dubois de Rochefort fait entrevoir à Séguier, en 1768, la possibilité d’intégrer l’Académie des inscriptions et belles-lettres en tant qu’associé libre. Bien que soutenu par Charles Le Beau, le secrétaire perpétuel, par Charles Pinot Duclos, qui le propose, et surtout par Lamoignon de Malesherbes, Séguier doit s’effacer. Il est cependant élu quatre ans plus tard, en 1772. Une partie des académiciens ne connaissait l’Index qu’à travers les propos laudateurs de l’abbé Leblond ou de Rochefort. Ce dernier demande donc au nouvel élu, au nom de l’Académie, de rédiger « quelque chose qui servit à en faire connaître l’objet, le dessein et qui en fut comme l’avant-goût »8. C’est probablement à cette occasion que Séguier entreprend la rédaction des prolégomènes, à moins qu’il n’ait alors repris un premier état antérieur pour rédiger la seconde version, plus aboutie, qui figure en tête du premier recueil. Véritable discours sur la méthode, ce texte (analysé par M. Christol), en prônant la nécessité du discrimen veris ac falsis, insiste avant tout sur le principe d’« inspection des originaux » et sur la nécessité de classer et d’ordonner en catégories. Amplifiant les principes méthodologiques de l’érudition classique, il insiste sur l’importance première de la solidité et de la sûreté des savoirs mobilisés, qui doivent être exhaustifs et systématiquement référencés, afin de déterminer « le vrai sens ». La vérification, l’élaboration de strates argumentaires irréfutables (les « autorités »), prennent dans cette optique une importance première dans l’ordre des moyens. La bibliographie analytique en trois volumes, « conceptuellement préliminaire » pour reprendre l’heureuse expression de Claude Nicolet, devient dès lors un véritable outil de travail, participant à la longue chaîne du savoir, qui est ainsi amenée à évoluer continuellement au gré des publications et des inflexions du travail savant.
Le « grand ouvrage » acquiert en tout cas dans les années 1770 une forte notoriété, du moins à l’échelle du royaume, comme il apparaît au détour de maintes correspondances. Séguier est de toutes parts pressé de le publier. Le président Fauris de Saint-Vincent, en 1772, lui rappelle « l’obligation » où il se trouve d’achever l’« ouvrage sur les inscriptions antiques », le considérant comme « une dette que vous avez contractée envers vos contemporains et envers la postérité »9. Séguier propose donc cet opus ultimum aux frères de De Tournes en 177410. Ils auraient donné leur accord, si l’on en croit Millin, mais le savant nîmois ne put jamais se résoudre à considérer la besogne comme achevée : il y travaille encore quelques semaines avant sa disparition.
Passé dans les mains de l’Académie de Nîmes, l’Index fait l’objet d’une nouvelle tentative de publication en 1787, sous la houlette des de Villas père et fils11. Elle ne peut malheureusement aboutir, du fait des circonstances, mais la réputation des volumes manuscrits perdure suffisamment pour procéder aux enlèvements de 1803.
La publication d’une telle somme aurait de toute évidence fait davantage passer le nom de Séguier à la postérité, même si le cadre de classement alphabétique employé nous apparaît aujourd’hui peu commode et difficile à manier. L’index n’en reste pas moins une étape importante dans l’histoire de l’épigraphie savante.
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1- Inscriptionum antiquarum index absolutissimus
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Inscriptionum antiquarum index absolutissimus
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Prospectus collectionis inscriptionum (1732)
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Annonce, par voie d’imprimé, du projet de Maffei d’un nouveau corpus des inscriptions.
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Recueil d’inscriptions nîmoises (v. 1728)
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Recueil d’inscriptions nîmoises (v. 1728)