Le passage de Vénus de 1761

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Le passage de Vénus prévu pour juin 1761 suscita un enthousiasme que l’on a du mal à mesurer aujourd’hui, favorisant en pleine guerre de Sept Ans l’émergence d’une véritable collaboration scientifique transnationale. Les travaux de Kepler, et notamment la publication en 1627 des Tabulae Rudolphinae, avaient en effet permis de déterminer avec précision les dates des transits de Mercure et de Vénus. L’événement n’avait rien d’anodin : Edmund Halley avait avancé en 1716 une méthode pour déterminer la parallaxe horizontale du Soleil à partir de l’observation de ce phénomène astronomique rare. Les astronomes, dont Séguier parmi tant d’autres, préparaient donc l’événement avec fébrilité.    
Son retour à Nîmes en 1755 n’avait en rien mis un terme à la pratique régulière de l’observation qu’il avait précédemment menée à Vérone. Proche du père Aimé-Henri Paulian, l’auteur du Dictionnaire de Physique (Avignon, 1761), Séguier réussit en quelques années à établir des liens solides avec d’autres astronomes de la compagnie de Jésus, notamment avec le père Esprit Pézenas, professeur d’hydro-géographie, qui dirigeait l’observatoire de la Montée des Accoules (un des mieux équipés de son temps), et avec le père Louis Lagrange, assistant du précédent, qui prit en charge l’observatoire de Milan en 1763. Le père Pézenas n’avait rien d’un amateur : c’était une figure importante du monde de l’astronomie, qui avait traduit des ouvrages anglais importants, dont le Cours complet d’optique de Smith. Le religieux avait par ailleurs construit un réseau savant de premier ordre, bénéficiant de l’appui de Delisle et de La Condamine.
Correspondant de Réaumur à l’Académie des Sciences, puis d’Antoine de Jussieu à partir de 1757, Séguier avait de son côté renoué avec ce même La Condamine dès 1759, le recevant à Nîmes en 1760, un an à peine après Maupertuis. C’est par son intermédiaire qu’il fit parvenir l’essentiel de ses observations à l’Académie des Sciences.   
Celles ne reflètent toutefois qu’une fraction de l’activité déployée par Séguier dans le domaine de l’astronomie. On connaît en réalité assez mal ses travaux, difficiles à appréhender. Le principal recueil de papiers consacré à cette science ne rassemble que des feuillets pour la plupart non datés et difficiles à identifier1. En croisant le contenu avec la correspondance conservée, on constate toutefois l’existence d’une activité plus intense à la faveur des grands événements qui marquèrent la période 1759-1761. Séguier rassemble ainsi des notes et des comptes-rendus sur le passage de la comète de Halley, recevant notamment, en avril 1759, le relevé très précis établi par le père Pézenas. La grande comète (C/1760 A1) de 1760 lui permet également d’accumuler une documentation non négligeable, notamment un croquis préalable ainsi que des copies manuscrites des travaux de Charles Messier. Les lettres de de Ratte de janvier et mars 1760 ne font cependant pas allusion à une observation directe.
Il put en revanche observer lui-même, dans de bonnes conditions, le transit de Venus. Dans un brouillon de lettre non daté (mais antérieur au 6 juin 1761) adressé au père Lagrange, il avait émis des doutes quant à la possibilité de pouvoir observer le commencement à partir de son observatoire nîmois. Les calculs qu’il avait entrepris ne lui laissaient que 40 secondes pour observer l’entrée. Il cherchait donc un autre lieu, « dans notre voisinage », pour pouvoir bénéficier de plus de temps. Il envisagea dans un premier temps de se rendre à Marseille, d’autant que l’observatoire des jésuites disposait depuis 1755 d’instruments inégalables. Ses soucis de santé le contraignirent toutefois à y renoncer, à la grande déception des religieux.
C’est donc à partir de Nîmes qu’il réalisa ses observations, comme le relatent les mémoires de l’Académie des sciences dans lesquels il est nommé parmi les trente-et-une personnes qui communiquèrent directement leurs observations2. Les fonds Séguier ne contiennent toutefois que peu d’éléments en dehors d’une note récapitulative mise en forme3 et de la longue lettre que Séguier écrit à La Condamine le 24 juin 1761, le chargeant de communiquer « le précis » de l’observation à Delisle4. « Le ciel étant très favorable », il avait pu opérer dans de bonnes conditions. Il déplorait toutefois de ne pas avoir pu disposer de tous les instruments nécessaires et notamment d’un micromètre. Il avait principalement utilisé sa lunette de 17 pieds, dont les verres venaient d’Italie, puis sa lunette de 11 pieds, « plus commode », ayant aussi recours à ses deux « télescopes newtoniens » et à « une pendule bien réglée sur le moyen mouvement du soleil ». Muni d’un verre fumé, il avait noté les différentes phases du passage, indiquant n’avoir pu mesurer le diamètre de la planète « faute d’instruments ». Il affirmait par ailleurs ne « point avoir aperçu le satellite que l’on avait annoncé », d’autant que le ciel s’était couvert en début d’après-midi. Il avait en revanche distinctement aperçu « un petit cercle rougeâtre, comme une atmosphère », décrit en quelques lignes.
Le « précis » transmis à Delisle, dont il estimait qu’il « n’était pas assez détaillé et tel qu’il convient » pour l’Académie, contribua assurément à ancrer la réputation de Séguier dans le monde de l’astronomie, son nom étant même cité dans la Connaissance des temps de l’année 1763 (où il est orthographié Seguin). En 1765, Joseph-Jérôme Lefrançois de Lalande en fit l’éloge en pleine séance de l’Académie, comme le rapporte l’abbé de Labarthe. Séguier avait déjà rencontré Lalande à Nîmes et ils entretinrent ultérieurement une correspondance dont on ignore malheureusement la teneur, une unique lettre ayant été conservée.  
Contrairement à ce qu’il avait connu à Vérone (où il n’avait de relations qu’avec Capelli), Séguier fut ainsi, en France, davantage en relation avec les figures institutionnelles du savoir astronomique (Delisle, La Condamine, Lalande, La Caille). Par la suite, il communiqua une grande partie de ses observations. Il put observer l’éclipse du 1er avril 1764 et les deux éclipses de Lune survenues en 1768, mais fut moins chanceux lors du passage de Vénus de 1769, à cause de conditions météorologiques défavorables.  
La majeure partie de ses relations dans le monde de l’astronomie s’ancrait dans la France méridionale, en lien étroit avec la Société royale des sciences de Montpellier ou avec le milieu académique. Il échangeait ainsi régulièrement avec de Ratte à Montpellier, mais aussi avec Garipuy ou Darquier de Pellepoix à Toulouse, qu’il avait rencontré lors de son séjour de 1764. Il entretenait surtout, jusqu’à la disparition de la compagnie de Jésus, des liens étroits avec les jésuites de Lyon et surtout avec ceux de Marseille (essentiellement avec les pères Rivoire et Pézenas, les liens avec Lagrange se distendant après son départ pour Milan).
Séguier ne fut donc en rien un acteur de premier plan du monde de l’astronomie, même si la rigueur de ses observations – limitées il est vrai par le manque d’instruments – lui permit d’acquérir une réputation flatteuse. L’abbé Paulian, dans la 9e édition de son Dictionnaire de physique parue en 1787, évoquant son « ami particulier » qui venait de s’éteindre, le qualifiait d’« excellent astronome-observateur ». Bien que le savant nîmois ait souvent protesté n’avoir qu’une « légère teinture de physique & de mathématiques », l’abbé affirmait également avoir pu souvent discuter avec lui des points les « plus difficiles de la physique systématique », attribuant sa discrétion à sa « modestie ». Ses calculs astronomiques ne contiennent en tout cas pas d’erreur et se distinguent par leur caractère méthodique, s’attachant à toujours signaler les données soumises à conjecture, sources d’erreurs potentielles. La lettre à la Condamine sur le passage de Vénus est à ce titre un cas d’école et révèle une probité intellectuelle de premier ordre.
Les travaux de Séguier après son retour à Nîmes s’inscrivent ainsi pleinement dans la dynamique d’échange et d’émulation que connait alors l’astronomie méridionale, marquée par l’essor des observatoires privés et par celui des structures plus institutionnelles, émanant des compagnies savantes. Un premier observatoire toulousain est fondé en 1734, remplacé en 1751 par celui de la rue des Fleurs. À Montpellier, la tour de la Babote est aménagée et équipée à partir de 1745. Fort de son réseau relationnel, Séguier sut donc s’intégrer pleinement dans la circulation de l’information, échangeant constamment observations et données chiffrées en articulant à la fois l’échelle provinciale et l’échelle du royaume, ses liens avec les astronomes étrangers s’étant réduits à peu de chose dès les années 1760.

[1][3] Bibl. mun. de Nîmes, ms. 355.
[2] Sur la conjonction écliptique de Vénus et du Soleil du 6 juin 1761, dans Histoire de l’Académie royale des Sciences, année 1761, Paris, 1763.
[4] Bibl. mun. de Nîmes, ms. 141.

Métadonnées

Identifiant

ark:/67375/7Q9XHGdngt34

Période concernée

1755-1784

Référence(s) bibliographique(s)

Guy Boistel, « Inventaire chronologique des œuvres imprimées et manuscrites du père Esprit Pezenas (1692-1776), jésuite, astronome et hydrographe marseillais », Revue d’histoire des sciences, 56, 221-245.
Jean-Eudes Arlot, Le passage de Vénus, Paris, 2004.
Jean-Michel Faidit, « Séguier et l’astronomie », in Jean-François Séguier, un Nîmois dans l’Europe des Lumières, Aix-en-Provence, 2005, p. 135-146.

Identifiant

ark:/67375/7Q9XHGdngt34

Licence

Citer cette ressource

François Pugnière. Le passage de Vénus de 1761, dans Matières à penser Jean-François Séguier (1703-1784), consulté le 3 Février 2025, https://kaleidomed-mmsh.cnrs.fr/s/vie-savante/ark:/67375/7Q9XHGdngt34

Collection

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Calcul du passage de Vénus par-devant le soleil le 6 juin 1761

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Description

Calcul du passage de Vénus par-devant le soleil le 6 juin 1761

Auteur

Jean-François Séguier

Source

Bibl. Mun. Nîmes, ms. 355

Date

1761

Passage d’une comète à Nîmes en février 1760

Métadonnées

Description

Passage d’une comète à Nîmes en février 1760

Auteur

Jean-François Séguier

Source

Bibl. Mun. Nîmes, ms. 355

Date

1760