L’herborisation du mont Lozère (1766)
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De retour en Languedoc en 1755, après 23 ans passés à Vérone près de Maffei, Séguier doit remettre de l’ordre dans les affaires familiales. Après un bref séjour à Nîmes, il gagne le domaine de Roussas (près de Saint-Ambroix, Gard) dont il vient d’hériter après la disparition sans enfant de son oncle en février 1755. Ayant affermé ses terres pour bénéficier de revenus stables, il consacre une grande partie de son temps à l’herborisation du Piémont cévenol. Renouant avec une ambition de jeunesse, il songe à un projet de recension de la flore du mont Lozère, que son frère, prieur de Saint-Jean-de-Valeriscle, avait déjà parcouru dans les années 1740.
Absorbé par ses activités, et notamment par l’achèvement de l’Ars critica lapidaria que Maffei avait laissé en chantier, il doit cependant renoncer à une telle aventure, qui n’était possible que durant le printemps et l’été si l’on voulait éviter des conditions climatiques trop contraignantes. Un séjour contraint en Cévennes en 1766, où il était venu s’occuper de la gestion de ses biens et des affaires de son frère, alors gravement malade, lui donne l’occasion de se lancer à l’assaut des pentes du mont, qui culmine à 1699 m.
Parti seul à cheval et sans domestique de son domaine familial de Roussas, il parcourt du 16 au 21 juin 1766 un vaste secteur suffisamment cohérent, d’un point de vue géographique, pour servir de cadre aux recensions botaniques systématiques qu’il affectionne. Dès son retour, il en rédige le récit1.
Le mémoire conservé est probablement une mise en forme intermédiaire des notes qu’il avait l’habitude de consigner sur des feuillets mobiles ou dans des carnets, suivant en cela, autant que l’on puisse en juger, la méthode de travail employée lors de ses voyages à Rome en 1739 ou en Piémont en 1743. Selon une habitude largement répandue dans les milieux savants, il rédige le corps de texte sur la partie gauche de la feuille, consignant rajouts, repentirs et notes dans la partie droite. De nombreux passages laissés en blanc mettent en évidence le caractère inachevé de la besogne, qui ne semble pas avoir fait l’objet par la suite d’une quelconque « mise au net ». Il est de fait difficile de savoir à qui était destinée cette relation, rédigée à la première personne, forme que Séguier avait déjà retenue lors de la rédaction de sa Dissertation sur l’ancienne inscription de la Maison Carrée, contrairement à ce qu’il avait jusqu’ici pratiqué en Italie.
Décrivant les paysages avec soin, il s’attache d’abord à cerner l’unité de lieu qui sert de cadre à la collecte, comme il l’avait fait dans ses Plantae veronenses2. Contrairement à son frère, qui avait abondamment décrit en 1740 les conditions de vie particulièrement dures des rares habitants de cet espace de pâtures, où le châtaignier ne poussait plus et d’où l’on ne retirait qu’un peu de « bleds noirs », Séguier laisse un récit peu marqué par les activités humaines, consacrant l’essentiel de ses descriptions à la nature des roches et à la flore. La faune y est totalement absente, cette zone étant pourtant alors caractérisée par une intense activité pastorale et par la présence non anecdotique des loups, comme le révèle encore tragiquement l’affaire de la Bête des Cévennes au début du XIXe siècle.
La recension de la flore est particulièrement intéressante, ou du moins révélatrice de la manière dont Séguier appréhende alors la botanique. Les démarches mises en œuvre dans la constitution de l’herbier relèvent d’une logique systématique et méthodique. La recherche des spécimens a un objectif essentiellement taxinomique ; Séguier ne cherche pas à étayer une construction systémique ou à nourrir une réflexion d’ordre physiologique. La Bibliotheca botanica avait permis d’établir, dès les années 1730-1740, les fondations bibliographiques de cette vaste entreprise d’inventaire et de classement. Les publications sur la flore véronaise, par leur rigueur et leur exhaustivité, montrent à quel point Séguier était parvenu à apprivoiser les arcanes de la classification, en maîtrisant parfaitement les ouvrages fondamentaux et les différents systèmes, qu’il maniait avec virtuosité et dont il suivait l’actualité avec attention.
Fidèle aux systèmes de classification reposant sur la méthode artificielle de Tournefort, très marqué par l’influence de Giulio Pontedera (1688-1757), ouvertement hostile au système linnéen, Séguier emprunte cependant beaucoup à l’œuvre de Bauhin, mais également aux ouvrages de Ray ou de Scheuchzer, même s’il commence à prendre en considération avec moins de réticence, à partir des années 1770, la nomenclature linnéenne dont on trouve à peine une trace dans le récit de 1766. Mouton de Fontenille, en 1798, rattache ainsi l’œuvre de Séguier à ce qu’il nomme un « système partiel », à qui François Boissier de Sauvages, Linnéen de la première heure, reprochait sa trop grande complexité, car reposant sur des connaissances livresques difficiles et longues à acquérir.
Les échantillons glanés en 1766 viennent en tout cas grossir un herbier en pleine expansion. Mis en chantier dans les années 1720, il compte en 1784 28 400 spécimens répartis en 144 liasses. Quant au récit, rédigé en 1766, il reste enseveli dans les papiers Séguier jusqu’à ce qu’Édouard Bligny-Bondurand (1845-1931), archiviste départemental de 1881 à 1922, le publie en 1895. Il constitue aujourd’hui un précieux témoignage de l’état de la flore du mont Lozère au milieu du XVIIIe siècle, cet espace naturel protégé (depuis 1970 dans la zone centrale du Parc national des Cévennes) ayant été marqué depuis les années 1870-1880 par la forte extension des boisements et par la raréfaction des activités agro-pastorales.
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Mont Lozère, façade orientale
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Façade orientale du mont Lozère
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Les Gourdouzes, mont Lozère
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Les Gourdouzes, mont Lozère
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Source
Relation de voyage sur le mont Lozère (1766)
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Description
Manuscrit de la relation de voyage sur le mont Lozère : récapitulatif des plantes observées