Séguier et les phénomènes électriques
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C’est en 1747 que Scipione Maffei publie son Della Formazione de’ fulmini. L’ouvrage rassemble quinze lettres portant sur la foudre et les phénomènes électriques, appréhendés dans leur globalité. Dans les Conghietture sopra i fenomeni elettrici (Lettera XV), adressées à Marco Foscarini (1696-1763), il dresse notamment une brève histoire de l’étude des phénomènes électriques, avant de faire le point sur les connaissances. Reconnaissant avant tout « se retrouver lui-même au milieu de l’obscurité des phénomènes les plus communs », il affirme ne pas vouloir « pénétrer les raisons intrinsèques ni le magistère occulte de la nature ». « Je ne peux, affirme-t-il avec beaucoup de réserve, me persuader que ce que nous appelons électricité soit une propriété de la matière en général ni une force universellement répandue ; encore moins qu’elle influence le mécanisme du monde, et que nous puissions espérer, à partir de ces phénomènes, déceler la constitution de l’univers ». Il préfère donc s’attacher à l’observation des phénomènes. Ayant étudié depuis les années 1710 les différentes manifestations de la foudre, il s’efforce donc « de prouver que la foudre ne tombe jamais du Ciel ni des nuages, mais qu’elle s’élève toujours de la Terre », s’appuyant « sur l’autorité de plusieurs physiciens qui l’ont avancée ou adoptée ». Cette prémonition des phénomènes de foudre ascendante, la fulmina inferna de Sénèque qui ne représente qu’à peine plus de 10 % de l’activité orageuse, fut en son temps abondamment débattue, l’ouvrage étant régulièrement cité et commenté[1].
Le livre, en réalité difficile à résumer, tant il repose sur un important travail d’étude des sources confrontées au fruit d’observations et d’expériences multiples et étalées dans le temps, fait appel à l’autorité de Séguier, réduit il est vrai au rôle de témoin, à même de corroborer les conclusions du marquis[2]. « L’indivisible compagnon » participa en tout cas activement aux expériences menées par le marquis, en perfectionnant notamment la « machine électrique » que Maffei, enthousiaste, avait acquise au milieu des années 1740[3].
Ces expériences, cet engouement, sont bien présents dans les lettres que Séguier échangea avec Giovanni Lodovico Bianconi (1717-1781) en 1746-1747. Ce médecin natif de Bologne, proche de Maffei, est depuis 1744 au service du landgrave de Hesse-Cassel. Il publie en 1748 une Lettre sur l’électricité, adressée au comte Algarotti, dans laquelle il fait allusion à maintes reprises à l’ouvrage de Maffei, que Séguier lui a fait parvenir au nom du marquis en 1747[4]. Tout laisse à penser que Séguier le considère alors comme un véritable mentor dans ce domaine. La question, il est vrai, passionne Maffei, au point que Bianconi en vient à affirmer « che Verona sia tutta diventata elettrica[5] ». Séguier n’écrit-il pas à Giovanni Bianchi en 1747 que l’électricité constitue « un fenomeno di fisica sì curioso, e che in oggi ha fatto tanto rumore in Europa[6] » ?
Maffei, par ailleurs, accueille l’abbé Nollet à Vérone le 29 juillet 1749[7], annoncé par Réaumur. Jean-Antoine Nollet (1700-1770) est alors incontournable dans l’étude des phénomènes électriques. Il avait été associé entre 1730 et 1732 aux travaux pionniers de Charles-François Cisternay du Fay (1698-1739), qui permirent des avancées déterminantes dans le domaine de l’électrostatique, en distinguant électricité positive et négative[8]. L’abbé avait par ailleurs accompagné celui-ci en Angleterre. Il s’était familiarisé avec les méthodes et les instruments propres aux sciences expérimentales, dans lesquelles il excella par la suite. Lorsque Séguier rencontre Nollet à Paris pour la première fois, en 1733, il dirige le laboratoire de Réaumur, avant d’ouvrir en 1735 un cabinet de physique expérimentale qui connaît un immense succès. C’est en 1746 qu’il publie son Essai sur l’électricité des corps, suivi en 1749 de ses Recherches sur les causes particulières des phénomènes électriques. En 1749, il est considéré comme le savant le plus qualifié, en France, dans les recherches sur l’électricité, se heurtant très tôt à Thomas-François Dalibard (1709-1778) et, à travers les travaux de ce dernier, à Benjamin Franklin, dont il conteste les théories et la paternité de la découverte de l’origine de la foudre[9].
L’intérêt de Maffei pour l’électricité finit cependant par décliner. Il en va tout autrement pour Séguier qui, même s’il ne publie rien, nourrit un intérêt constant pour cette branche de la physique. Réaumur l’informe ainsi régulièrement des nouvelles expériences et des découvertes. Séguier est par ailleurs en relation avec le président De Bon, à Montpellier, qui l’informe de l’importance de ses travaux, ainsi que des premiers résultats obtenus par François Boissier de Sauvages en 1749[10].
C’est toutefois avec Jean Jallabert (1712-1768) qu’il aborde le plus volontiers la question. Professeur de physique expérimentale à Genève entre 1737 et 1750, cet interlocuteur privilégié s’intéresse très tôt aux effets thérapeutiques de l’électricité, question qu’avait déjà effleurée Maffei dans Della Formazione de Fulmini. Ses Expériences sur l’électricité, parues en 1748, avaient développé ses théories, assez proches de celles de l’abbé Nollet, qu’il avait côtoyé à Paris. La correspondance qu’il entretint avec Séguier, peu après la parution de l’ouvrage – les lettres ne sont pas datées – est d’une grande richesse : Jallabert le pousse à s’intéresser à la question de la contraction musculaire, poussant son correspondant véronais à superviser des expériences sur des animaux. Séguier, de son côté, s’avère être un précieux informateur : il le renseigne sur les expériences d’électrothérapie menées par Giovanni Francesco Privati à Venise[11], par Giovanni Giuseppe Verati, le gendre de Ferdinando Bassi, à Bologne[12], ou par Giovanni Bianchi, de Rimini. L’engouement pour la matière électrique atteint donc chez Séguier son apogée, alors que se multiplient les publications et les débats. Comme le lui rappelle en 1781, l’abbé Pierre-André Pourret, « l’électricité […] en 1750 et 1751 faisait avec l’astronomie vos chères délices[13] ».
L’intérêt nourri par Séguier pour la matière semble cependant s’atténuer après son retour à Nîmes. Les mentions de la « matière électrique » dans la correspondance deviennent fugitives. Il s’avère alors soucieux de défendre les théories de Maffei, même s’il n’est pas certain qu’il ait en son temps souscrit à toutes ses démonstrations, comme ce fut le cas dans le domaine des pétrifications où il fait preuve d’une grande prudence dans sa réfutation des thèses de Lazzaro Moro, soutenu en son temps par Maffei[14].
L’engouement pour cette question semble cependant renaître dans les années 1770. Les lettres qu’il échange avec l’abbé Pierre-Nicolas Bertholon de Saint-Lazare (1741-1800) en sont un bon exemple[15]. C’est par l’intermédiaire de Marc-Antoine Claret de la Tourette, qu’il entre en relation avec lui en 1774. Bertholon demande dans un premier temps à Séguier de l’informer des innovations apportées par un ouvrier de Nîmes, Boyer, à la traditionnelle machine électrique. Le savant nîmois, toujours obligeant, lui envoie quelques mois plus tard un dessin précis de l’appareil. Reçu correspondant à l’académie de Nîmes, l’abbé fait parvenir en juin 1774 à son correspondant un mémoire prouvant qu’il y a « dans le tonnerre une vraie attraction et répulsion électrique et que par ce moyen on pouvait expliquer plusieurs phénomènes curieux ». Séguier, alors secrétaire perpétuel, l’encourage à persévérer.
Bertholon, toutefois, dans le mémoire qu’il lit en 1777 devant la société royale des sciences de Montpellier[16], conteste une partie des théories de Maffei. Il a soumis au préalable une partie de son texte tant à Séguier qu’à l’abbé Paulian. La réponse de Séguier, conservée à l’état de brouillon, est particulièrement développée : c’est un véritable plaidoyer pro domo en faveur des thèses de Maffei sur l’origine de la foudre ascendante. Le texte que publie par la suite Bertholon dans le Journal de physique puise abondamment dans ce texte[17]. L’abbé défend toutefois une vision plus nuancée, affirmant l’existence d’un double mouvement de la foudre, ascendant et descendant. La lettre que lui envoie Séguier est assez révélatrice de son approche des phénomènes naturels, telle qu’elle s’affirme chez lui depuis les années 1750 : soucieux de défendre les thèses du marquis, et peut-être davantage encore sa mémoire, il n’écarte pas le doute. « Il est difficile, affirme-t-il ainsi, pour ne pas dire impossible de soumettre la foudre aux lois de l’examen et de l’analyse. Ce que nous en connaissons est plutôt systématique pour démontrer quelque sentiment que l’on embrasse. Il n’est point aisé de se former des idées précises des causes qui l’accompagnent et qui les produisent. » Et d’ajouter « Je me donne bien de garde de critiquer les grands hommes que vous citez [Franklin essentiellement]. J’aime mieux renvoyer à la postérité qui peut-être dans quelques siècles aura pu dévoiler la cause de ce météore et qui n’a point été connue des philosophes qui nous ont prêchés ».
[1] Voir notamment Domenico Troili, Della elettricità. Lezioni di fisica sperimentale, [Modène], 1772.
[2] Della formazione dei fulmini…, p. 118. Lettera XIII (La Condamine) Voir Emmanuelle Chapron, La vie dans les papiers, Bâle, Schwabe, 2024, p. 72.
[3] Della formazione dei fulmini…, p. 17. Lettera II (Apostolo Zeno)
[4] Giovanni Lodovico Bianconi, Lettre sur l’électricité, Amsterdam, Aux dépens de la Compagnie, 1748.
[5] Bibl. mun. de Nîmes, ms 138.Lettre du 20 juin 1747.
[6] Rimini, Biblioteca Gambalunga. Fondo Gambetti, Lettere autografe al Dott. Giovanni Bianchi, pièce 11.
[7] Bibl. mun. de Soissons, ms 150. Journal du voyage de Piémont et d’Italie en 1749.
[8] L’essentiel de ses travaux fut publié dans l’Histoire de l’Académie royale des sciences entre 1728 et 1737.
[9] Isaac Benguigui, Théories électriques du XVIIIe siècle : correspondance entre l'abbé Nollet (1700–1770) et le physicien genevois Jean Jallabert (1712–1768), Genève, Georg, 1984.
[10] Bibl. mun. de Nîmes, ms 135 (1749).
[11] Giovanni Francesco Privati, Reflessioni fisiche sopra la Medicina Elettrica, Venise, 1749 et Saggio d'Esperienze intorno la Medicina Elettrica, Venise, 1750.
[12] Giuseppe Verati, Osservazioni fisico-mediche sulla elettricità, Bologna, 1748 et Osservazione fatta in Bologna l’anno MDCCLII dei fenomeni elettrici nuovamente scoperti in America, e confermati a Parigi, Bologna 1752.
[13] BnF, ms, NAF, 6569.
[14] François Pugnière, « De l’objet à l’écriture : Les pétrifications du Véronais de Jean-François Séguier », dans Emmanuelle Chapron et François Pugnière (éd.), Écriture épistolaire. Les réseaux de Jean-François Séguier, Paris, Garnier, 2019, p. 105-125.
[15] Jean-Paul Poirier, L’Abbé Bertholon, Un électricien des Lumières en province, Paris, Hermann, 2008.
[16] Pierre Bertholon, Mémoire sur un nouveau moyen de se préserver de la foudre, Montpellier, Martel, 1777.
[17] Pierre Bertholon, « Mémoire dans lequel on examine quels sont les sables et les terres qui transmettent la commotion électrique », Observations sur la physique, janvier 1777, Paris, Ruault, 1777.
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Scipione Maffei, Della formazione dei fulmini, Vérone, 1747.
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Lettre sur l'électricité écrite par M. Bianconi..., Amsterdam, 1748.
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Lettre de l'abbé Bertholon à Séguier. [Non datée] Bibl. mun. de Nîmes, ms 138, fol. 250.
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