La figure en tant qu’outil de référence
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Les fonds Séguier abondent en représentations figurées, qui forment un véritable « musée de papier ». Une grande partie d’entre elles, que ce soit des dessins, tant au crayon qu’à l’encre, ou des planches « lavées » ou aquarellées, furent produites par Séguier lui-même, dont les talents de dessinateur étaient reconnus par l’ensemble de ses contemporains.
Il est difficile de savoir comment il parvint à la maîtrise de cet art, sur lequel il ne s’exprime que rarement. L’analyse de ses carnets de voyage et de sa correspondance révèle une bonne connaissance des courants picturaux et des techniques. Les éléments biographiques qu’il communiqua à Dezallier d’Argenville sur Louis Dorigny ou Rosalba Carriera sont révélateurs d’une curiosité et d’un goût affirmé[1]. C’est de toute évidence à Nîmes qu’il acquit les bases théoriques et pratiques de son savoir, probablement dans l’entourage de la famille Natoire.
Les lettres échangées avec Charles-François-Xavier, un des frères du peintre, installé à Arles, ainsi qu’avec le fils de celui-ci, mettent en effet en évidence une forme de familiarité[2]. C’est toutefois la correspondance entretenue entre Séguier et son plus jeune frère Joseph-Maximilien qui contient les indices les plus éclairants[3] : ce dernier fait référence à « monsieur Natoire qui [a] la bonté de m’apprendre » le dessin, sans plus de précision malheureusement. Le frère évoque également l’architecte Jean Mauric, oncle maternel de Charles-Joseph Natoire, en compagnie duquel il put réaliser quelques croquis et relevés lors des travaux de la Fontaine en 1740[4].
Maffei, dès la rencontre de 1732, comprend tout le potentiel qu’il peut tirer d’une telle conjonction de talents, comme il l’écrit à son parent Bertoldo Pellegrini[5]. Quelques-uns des dessins ayant servi à la réalisation des planches des Galliae antiquitates, publiées en 1734 à Paris, chez Osmont[6], sont de sa main, comme il l’écrit non sans fierté à son ami Pierre Baux[7]. Il dessine par la suite, durant tout son séjour ultramontain, de nombreux objets pour Maffei et lui-même. À l’occasion du voyage en Étrurie en septembre-octobre 1738, il reproduit notamment l’ensemble des sept Tabulæ Iguvinæ[8]. En revanche, aucun des dessins préparatoires ayant servi aux planches insérées dans le Museum veronense (1749) n’est de sa main : elles sont pour l’essentiel dues au Véronais Giambettino Cignaroli ou à Charles-Joseph Natoire, pour l’une d’entre elles. L’essentiel des figures intercalées dans le texte n’est toutefois pas signé. Séguier serait-il l’auteur de certaines d’entre elles, comme le suggère Maffei pour certaines[9] ? Ce type de représentation abonde en tout cas dans ses recueils d’inscriptions.
De tous les recueils de planches dessinés par Séguier à Vérone, c’est cependant l’ensemble formant le ms 256 qui reste le plus abouti. Il s’agit des 70 planches regroupant 442 dessins de spécimens (poissons, crustacés, bois, plantes) réalisés au crayon et à l’encre, entre 1745 et 1747, à partir des fossiles originaux. Il s’agit alors pour lui de définir des types représentatifs, des « spécimens de substitution » selon la formule de Martin Rudwick, à partir de sa propre collection, rassemblant près de 1 200 pièces en 1752. La représentation type résulte ainsi de l’observation puis de l’identification aboutissant au classement des fossiles. La figure sert ensuite de soubassement au travail d’écriture et d’explication, étroitement articulé aux planches par un habile système de renvoi. La facture des planches est dans l’ensemble remarquable, même si une partie d’entre elles est empruntée directement au catalogue de l’abbé Spada. Le dessin se caractérise par une volonté affirmée de « netteté », réfutant tout effet. Le mode même de représentation tend à faciliter le travail du graveur, art que Séguier connaissait fort bien.
Les fonds nîmois recèlent de nombreuses planches de naturalia, conservées parfois hors contexte. Les très belles figures aquarellées contenues dans le ms 81, un recueil factice dédié aux sciences naturelles, sont parmi les plus frappantes, tant leur réalisation est remarquable. « L’espèce d’orchis du pays » (fol 194 r), portant la mention « fecit Seguier », tout comme l’orchis inachevée ornant le folio 197, sont d’un réalisme et d’une précision saisissants, adoptant tous les codes en usage de la représentation naturaliste.
Séguier, s’il recourt abondamment à la figuration, ne s’étend cependant guère sur la théorie et sur l’usage de la figure. La représentation reste généralement chez lui subordonnée au discours et à sa construction. Elle ne constitue que rarement un « tableau qui parle aux yeux » pour reprendre l’expression du père Jobert. La place assignée à la figure pour Séguier, du moins à celle que l’on donnait au public, est ainsi marginale dans ces écrits : il y a peu recours dans ses propres travaux, en dehors des Pétrifications du Véronais qu’il ne put jamais faire publier tant le coût de réalisation dépassait ses facultés. La représentation joue pourtant chez lui un rôle opérant en tant qu’acteur de la construction savante. Fixer l’objet par le dessin le plus exact possible – Séguier réalisa notamment des croquis de fouilles cotés en 1775 – permet en premier lieu d’étayer le raisonnement en amont, contribuant ainsi à la formation et à la formulation de la preuve et de tout le discours argumentatif. Le dessin alimente ainsi le processus de raisonnement, souvent analogique et comparatif, si caractéristique du monde de l’épigraphie et de l’héritage intellectuel de Maffei. La formation d’un « musée de papier » offre dès lors, comme avait pu l’affirmer Roger de Piles au début du siècle dans sa théorie des arts imprimés, des possibilités de comparaison inégalables.
Son relevé des trous de fixation de l’inscription de l’architrave de la Maison Carrée, publié en tête de sa dissertation de 1759 et copié dans les années 1780 par les libraires Belle et Buchet, en est un bon exemple[10]. La manière dont il avait procédé est révélatrice de l’importance que pouvait prendre le relevé graphique en tant qu’opération intellectuelle préalable. Du haut d’un échafaudage branlant, il avait décalqué in situ les emplacements des trous de scellement de l’inscription sur de grandes feuilles collées, avant de procéder à une réduction méticuleuse qui lui permit d’obtenir un respect des proportions difficilement réalisable par un autre procédé[11]. La planche qu’il réalisa, unique dans la première édition de sa Dissertation, joue un double rôle : elle illustre le propos, guide le discours argumentatif, mais elle sert également de support au raisonnement, nourri par une analyse matérielle attentive, non sans analogie avec les démarches mises en œuvre par Caylus.
Séguier rejette de fait ce qu’il nomme le « négligé », qui selon lui se ressent de tout recours au pittoresque. Cette « licence » fausse le rapport à l’objet étudié et biaise le raisonnement en introduisant les aléas de la conjecture. La masse de croquis et de dessins qu’il accumula tout au long de son existence demeure ainsi fondamentalement un instrument de travail : le dessin est de fait constitutif du raisonnement.
[1] Bibl. mun. de Nîmes, ms 136.
[2] BnF, ms, NAF, 6568. Bibl. mun. de Nîmes, mss 103 et 417.
[3] Bibl. mun. de Nîmes, ms 148.
[4] Bibl. mun. de Nîmes, ms 302.
[5] Lettre du 20 décembre 1732. Scipione Maffei, Epistolario (1700-1755), Milan, Giuffré, 1955, 2 vol., t. 1, p. 630.
[6] Scipione Maffei, Galliae antiquitates quaedam selectae atque in plures epistolas distributae..., Paris, Osmont, 1734.
[7] L’éloge de Séguier, rédigé par Bon-Joseph Dacier et publié en 1809, affirme, non sans exagération [les dessins de Séguier sont assez minoritaires en réalité], « que c’est d’après ses dessins qu’ont été gravés la plupart des monuments publiés par Maffei depuis que ces deux savants se furent attachés l’un à l’autre ». « Éloge de M. Séguier », in Histoire de l’Académie des Inscriptions et Belles-lettres, Paris, 1809, t. 47, p. 314-328.
[8] Bibl. mun. de Nîmes, ms 141. Lettre du père Dumont à Séguier du 29 octobre 1783. Il en est fait mention dans un inventaire de 1784. Archives de l’académie de Nîmes. « Atlas contenant les tables étrusques en 12 planches. »
[9] Scipione Maffei, Museum Veronense, Vérone, Imp. du Séminaire, 1749, p. CXCII. « Hasce interim Seguierii mei erudita manu apprime tamdem, & fidelissime depiclas heic conspice. »
[10] Michel Christol, Dissertation sur l’inscription de la Maison Carrée de Nîmes par Jean-François Séguier, Aix, Edisud, 2005.
[11] Bibl. deNîmes, ms 117.
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Planche XXVII. Pétrifications du Véronais. Bibl. mun. de Nîmes, ms 256
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Orchis. Seguier fecit. Bibl. mun. de Nîmes, ms 81
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