Séguier secrétaire perpétuel de l’académie de Nîmes
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À partir de la fin des années 1760, le nom de Séguier, alors auréolé de flatteuses affiliations académiques tant en France qu’en Italie, est associé de façon croissante au fonctionnement de l’académie royale de Nîmes, dont il fut pendant 18 ans le secrétaire perpétuel. Comment appréhender, comment saisir la force de ce lien qui aboutit à la donation de 1778 ?
C’est en 1682, que Jules-César de Fay, marquis de Péraut, avait proposé d’ériger un groupe informel « de personnes d’esprit et de savoir » en société littéraire, qu’il réunit chez lui dans un premier temps[1]. Composée de 26 membres, elle se plaça initialement sous la protection de l’évêque de Nîmes, Jean-Jacques Séguier de la Verrière (1606-1689), cousin du chancelier Pierre Séguier. Des statuts furent aussitôt adoptés et la compagnie, bénéficiant d’un réseau d’influence efficace, put obtenir des lettres patentes entérinant sa création, le 10 août 1682, en tant qu’Académie royale de Nîmes. Bien que les confrères aient joui des « mêmes honneurs et privilèges que ceux de l’Académie française », cette dernière refusa toutefois l’agrégation de la compagnie nîmoise, qui s’associa en revanche, dès 1683, avec celle d’Arles fondée en 1666.
Les statuts de 1682, outre la défense de la langue, stipulaient que l’académie devait se consacrer « à l’étude de l’Antiquité et à la recherche des anciens ouvrages des Romains ». En 1684, elle s’efforça donc d’obtenir du roi, en vain, « qu’il la rendit dépositaire de toutes [les] antiquités », demandant à ce qui lui soit affectée la Maison carrée, possédée alors par les Augustins. On aurait pu ainsi y conserver « toutes les pièces antiques qu’on pourrait découvrir[2] ».
Cette ambition ne semble pas avoir dépassé le stade des velléités. La société ne s’occupait en réalité à cette date, selon Séguier, que « de discours académiques, de l’éloquence, de la poésie et des faits historiques », malgré la présence en son sein d’un antiquaire de renom, dont le cadre dépassait le rayonnement local, comme François Graverol. La nomination au siège épiscopal de Nîmes d’Esprit Fléchier (1632-1710) permit par ailleurs à la compagnie d’obtenir enfin en 1692 l’association à l’Académie française, dont il était un membre éminent.
Cette affiliation prestigieuse n’empêcha pas la société de commencer à péricliter au tournant du siècle. Les quelques travaux littéraires conservés, notamment ceux de Fléchier lui-même ou du pasteur converti Pierre Paulhan (mort en 1699), publiés dans le Mercure galant ne doivent guère faire illusion. La fragile équilibre confessionnel des années 1680 eut bien du mal à survivre à la Révocation : Guiran de Faure, Formi ou Saurin, gagnèrent le Refuge, Graverol lui-même étant arrêté alors qu’il gagnait la Suisse. Cette première académie ne parvint pas à survivre à la disparition de Fléchier, malgré l’implication de l’abbé Philippe Robert, homme de lettres et vicaire général du diocèse[3]. Le marquis d’Aubais (1686-1777) fut le dernier membre à avoir été reçu en 1712.
Quand Séguier quitte Nîmes à la fin 1732, l’académie n’a donc plus la moindre activité depuis près de vingt ans. C’est durant son séjour à Vérone qu’elle renaît de ses cendres. La société littéraire qui s’était formée dans un premier temps prend ou reprend en effet dès le mois de mars 1752 le nom d’Académie. Onze membres sont tout d’abord élus, avant de passer à 26 au bout de quelques mois. Les nouveaux statuts prévoient une division en deux grandes classes, lettres et sciences, mais cette structuration est vite abandonnée, faute de pouvoir étayer la seconde.
Séguier est pour sa part élu associé étranger le 2 novembre 1752, le jour même de la lecture, devant l’assemblée, de sa lettre sur l’inscription à Jupiter Héliopolitain trouvée dans le secteur de la Fontaine que lui avait communiqué son oncle. Peu après son retour, il passe académicien ordinaire, en novembre 1755, mais il faut attendre le mois de décembre 1756 pour le voir siéger, et encore de façon épisodique, parmi ses confrères, ayant été accablé jusqu’ici « d’une suite d’affaires & de voyages qui l’avait empêché de composer plus tôt son discours de remerciement[4] ». Sa réception effective n’a lieu finalement que le 3 novembre 1757. Son savoir, ses liens avec Maffei, mais aussi l’ampleur de ses relations savantes, tout comme l’importance de ses affiliations académiques, lui confèrent alors une indéniable aura et une place éminente au sein de l’institution. Il est de fait élu directeur pour un an dès le mois de janvier 1758, malgré la discrétion dont il a jusqu’ici fait preuve[5].
On ne conserve que peu de traces de son activité en tant que directeur : il semble s’être surtout efforcé de remettre en vigueur de façon plus rigoureuse le règlement de 1752. Le Parallèle des antiquités de France et d’Italie, qu’il prononce en mai 1758, s’inscrit dans cette dynamique : au-delà même de son contenu, il dessine en effet les contours d’un véritable programme visant à renouer avec « l’étude de l’Antiquité », conforme aux statuts de 1682.
Son implication dans l’institution ne cesse par la suite de s’accroître : la découverte de l’inscription de la Maison Carrée, à la fin 1758, constitue à ce titre une étape cruciale. Elle n’a fait que renforcer et rendre publique une aura, à laquelle s’ajoute la qualité des visiteurs qu’il reçoit dans son appartement de la Grand-Rue. En toute logique, il succède donc en 1765 à Alexandre Henri, marquis de Rochemore (1728-1770), en tant que secrétaire perpétuel. Ses activités au sein de l’académie transparaissent désormais de façon assez régulière dans sa correspondance, d’autant qu’il est à titre personnel associé à celles de Toulouse (1758) et de Dijon (1766). Ses lettres, tout comme les quelques archives conservées[6], révèlent une appropriation et une grande maîtrise des usages académiques, dont il incarne à cette date parfaitement les paradigmes[7].
La réponse qu’il adresse en 1774 à Condorcet en tant que secrétaire perpétuel, alors que celui-ci cherche à associer les académies de province à l’Académie des sciences, révèle le regard indulgent, mais nuancé qu’il porte alors sur les académies de province, deux ans après avoir été lui-même élu à l’académie des inscriptions et belles lettres[8]. S’il approuve en partie le projet de Condorcet de publier les meilleurs mémoires provinciaux dans les volumes de l’Académie, il attire néanmoins l’attention de son interlocuteur, qu’il a reçu à Nîmes en 1770, sur le fait que la compagnie est avant tout tournée vers les belles-lettres et qu’elle l’est peu vers les sciences, bien que celles-ci commencent prendre leur envol. Séguier, ne l’oublions pas, lui-même est alors correspondant de la société royale des sciences de Montpellier et de l’Académie des sciences, comme son ami Pierre Baux au demeurant. La notoriété d’un Jean Razoux commence alors à s’affirmer avec les premières inoculations et avec la publication des Tables nosologiques en 1762[9], tout comme celle de l’abbé Aimé Henri Paulian (1722-1801), l’auteur du Dictionnaire de physique portatif (1ère éd. 1758), reçu en 1776.
Séguier n’est donc pas dupe sur la réalité de l’engagement de la masse de ses confrères, dont la majeure partie, comme il l’explique avec réalisme et pondération, doit assumer les devoirs de leurs charges ou de leur état. « On fait beaucoup de promesses de travailler, affirme-t-il, mais cette ardeur se ralentit, peu de personnes veulent s’assujettir à composer des ouvrages suivis et réfléchis ».
Son « règne » correspond néanmoins à une période marquée par un accroissement des activités et des centres d’intérêt, qui se double d’une réelle émulation. En 1770, le conseil de ville décide ainsi d’attribuer un prix annuel, décerné après jugement de l’Académie[10]. Il est toutefois, à partir de 1774, décerné tous les deux ans, étant financé par l’académie, puis, à partir de 1779, par une donation de l’abbé Henri François d’Ornac de Saint-Marcel. Le prix doit alors récompenser des travaux portant sur les arts, le commerce ou l’agriculture[11].
La donation de 1778 s’inscrit de toute évidence dans la dynamique de cet engagement. Son élection en tant que protecteur de l’institution, en février 1784, peut être en effet considérée comme le point d’acmé de ses longues années de secrétariat, au point que son nom devient presque inséparable d’une institution, marquée à l’orée des années 1780 par une incontestable dynamique qui perdure après sa mort, à travers une jeune génération, celle des Jean-César Vincens ou des François-Antoine Boissy d’Anglas.
[1] Capitaine en 1636, il devint mestre de camp depuis 1647. Devenu maréchal de camp en 1649, il se retira du service en 1654 ou 1655. Féru de belles-lettres, il avait été secrétaire de l’académie des Émulateurs d’Avignon en 1658, date de sa création.
[2] Voir le registre des délibérations de l’académie. Académie de Nîmes. Sur l’Académie : L’académie de Nîmes. Documents réunis à l’occasion du tricentenaire de sa fondation, Nîmes, 1982.
[3] Philippe Robert, prêtre du diocèse de Paris, chanoine en 1692, puis prévôt du chapitre de 1703 à 1730.
[4] « L’éloignement où j’étais, l’embarras des soins domestiques, le peu d’usage que j’avais de la langue dont je devais me servir & qui m’était presque devenue étrangère ont été la cause de ce retardement que vous avez bien voulu ne pas regarder comme une négligence ».
[5] Le tableau que dresse en 1759 l’Élagueur des académies de France, un pamphlet satyrique émanant du monde janséniste, n’est guère flatteur pour l’institution : il dépeint globalement un monde de « demi-savants », formant davantage « un tripot de littérature » qu’une société savante. Séguier n’y est pas cité. François Rouvière, « L’académie de Nîmes au XVIIIe siècle », Revue du Midi, juillet et septembre 1896, p. 19-36 et 246-263.
[6] Fonds de l’académie de Nîmes et Bibl. mun. de Nîmes, ms 485.
[7] Voir Daniel Roche, Le siècle des Lumières en province. Académies et académiciens provinciaux (1680-1789), Paris-La Haye, 1978, 2 vol.
[8] Simone Mazauric, « Condorcet, Séguier et l’Académie de Nîmes », in : Les relations scientifiques de Condorcet avec les provinces françaises. Correspondance et documents inédits, 1772-1791, p. 99-120, 441-448.
[9] Correspondant de l’académie des sciences depuis 1761.
[10] Jérémy Caradonna, « Prendre part au siècle des Lumières Le concours académique et la culture intellectuelle au XVIIIe siècle », Annales HSS, 3, 2009, p. 633-662.
[11] Voir Antoine-François Delandine, Couronnes académiques, ou Recueil des prix proposés par les sociétés savantes…, Paris, 1787, p. 56-57.
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Séance de l'académie de Nîmes, 9 novembre 1758. Archives de l'académie de Nîmes.
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Séance de l'académie de Nîmes, 4 décembre 1760. Archives de l'académie de Nîmes.
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Programme de 1785 de l'académie de Nîmes. Bibl. mun. de Nîmes, ms. 485.
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