La donation de 1778
Auteur du texte
Texte
Texte
C’est en décembre 1772 que pour la première fois Séguier fait ouvertement part à un de ses correspondants de ses interrogations sur le devenir de ses collections. « Sans suite et avec des héritiers qui ne s’occupent point de littérature et qui ont laissé dépérir plusieurs livres utiles dont ils avaient hérité, on ne doit s’attendre qu’au dépérissement total de tout ». La mort de ses frères – René s’éteint en 1767, Joseph Maximilien en 1776 – fait de sa sœur Marianne, sans descendance, la seule héritière de ses biens. Aucun de ses « neveux » – les enfants de ses cousins germains, tous fort bien dotés – ne nourrit alors d’intérêt particulier pour l’érudition ou les sciences.
Il est pourtant difficile d’appréhender le cheminement intérieur qui mène le savant, dont la discrétion et la « modestie » restent proverbiales, à envisager le don de ses collections. La dispersion de la bibliothèque du marquis d’Aubais, en 1777-1778, a probablement joué un rôle déterminant. La vente des 25 000 volumes l’a de toute évidence ébranlé, d’autant qu’il participe activement à la vente pour le comte de la marquise d’Urre, en dressant notamment un catalogue des fonds conservés à Aubais[1].
C’est en tout cas le 11 septembre 1778, à l’occasion d’une séance extraordinaire de l’académie, tenue chez Étienne David Meynier de Salinelles (1729-1794), qu’il annonce officiellement le legs à l’académie de l’ensemble de ses collections[2]. La nouvelle qu’il voulait « se défaire de son cabinet » courrait toutefois depuis quelque temps : Philippe-Laurent de Joubert, trésorier des états de Languedoc, s’en était fait l’écho le 8 juillet 1778. Il sert d’ailleurs d’intermédiaire entre son correspondant nîmois et le comte d’Angiviller, directeur des Bâtiments du Roi, qui aurait envisagé d’acquérir les fossiles pour le Cabinet[3]. Rien ne détourne pourtant Séguier de sa volonté initiale. Les rumeurs vont alors bon train : l’académie se fait encore l’écho, en 1786, d’une tentative de rachat du cabinet par la tsarine, dont il ne subsiste pourtant aucune trace[4].
Un tel don – quasi contemporain de celui de Clément de Lafaille à la Rochelle[5] – n’a alors rien de fondamentalement inédit : il s’inscrit dans la continuité de ce qu’avaient fait Louis-Léon Pajot d’Ons-en-Braye en France ou Hans Sloane en Angleterre, sans parler de l’exemple précurseur d’Ulisse Aldrovandi à Bologne à la fin du XVIe siècle[6]. Non sans analogie avec les conceptions et les démarches qui avaient présidé au développement du Museo Maffeiano à Vérone[7], Séguier, fidèle à la philosophie politique du marquis, offre à sa « chère patrie » l’œuvre d’une vie en pérennisant, au-delà des objets, et c’est peut-être cela qui fut le plus déterminant à ses yeux, les « suites » résultant d’une méthodologie et d’une science ordonnée et raisonnée dont Claude Nicolet a pu souligner tout l’intérêt et la complexité[8].
L’académie, dès l’annonce du legs, se hâte d’entériner le don, tant elle craint de se voir déposséder. Elle confère le jour même « mandat et pouvoir » à Jean-Jacques Maurice Reinaud de Genas (1730-1794), baron de Vauvert, pour « passer les actes nécessaires à raison de ce, régler les droits qui pourront être dus, faire les diligences pour obtenir les lettres patentes d’autorisation… ». Un premier acte est donc dressé dès le 16 septembre – délai très, voir trop court pour ne pas déceler un long travail préparatoire en amont – chez le notaire habituel de Séguier, Jean Nicolas, par lequel il cède à l’académie tous « ses livres imprimés ou manuscrits, gravures, cartes et estampes, son entière collection d’antiquités, médailles tant anciennes que modernes, son cabinet d’histoire naturelle avec l’herbier et généralement tout ce qui forme ses différents cabinets des choses ci-dessus énoncées, avec les tablettes servant à icelles ». La valeur est estimée à 25 000 livres, mais elle semble minorée à dessein.
Il n’est toutefois nullement question dans ce premier acte de l’hôtel, construit en 1768-1772, qui abrite alors les collections. Séguier en a par testament affecté la valeur « aux pauvres », en fait à la Miséricorde et à l’Hôtel-Dieu de Nîmes. Ce dernier est tenu depuis le xviie siècle par les hospitalières de Saint-Joseph, où Jeanne (1707-1787), sa sœur aînée, est religieuse. L’évêque de Nîmes, Charles Prudent de Becedelièvre (1705-1784) – dont Séguier est proche – parvient toutefois à élaborer un compromis, si ce n’est un arrangement. À la demande des académiciens, il « détermine » le légataire à céder l’hôtel moyennant le paiement de 15 000 livres, que le prélat accepte de verser aux « pauvres ». Un second acte est donc passé le 19 janvier 1780. Séguier abandonne l’hôtel à l’académie qui en prendra « possession […] après le décès du dit sieur Séguier et de Mademoiselle sa sœur ». Dès le lendemain, l’académie rachète dans la foulée aux pères carmes la rente que ceux-ci percevaient sur le terrain où avait été construit l’hôtel, situé dans leur enclos, moyennant un « droit de transport » réduit à 1 500 livres.
La compagnie a pu entre-temps obtenir les lettres patentes officialisant et garantissant surtout la donation, tant on semble craindre encore quelque imprévu. Les documents conservés dans les archives de l’académie permettent de bien appréhender les mécanismes et les jeux d’influence qui permirent l’obtention des celles-ci en juillet 1779. L’affaire fut portée par Jacques Charbonnier de la Robole, secrétaire du Roi, ancien avocat général du comte d’Artois, de concert avec Arnail Fornier (1728-1815), homme de confiance de Necker et surtout frère aîné du négociant nîmois et académicien Barthelémy Fornier (1735-1788). Les négociations avec la Ferme générale pour obtenir une « modération » des droits d’amortissement et du centième denier furent en revanche moins fructueuses. Elles aboutirent en août à une maigre « modération des droits[9] ».
Commence ensuite une période d’interrègne de près de quatre ans, durant laquelle l’académie multiplie les gestes honorifiques[10] à destination du bienfaiteur, qui reste secrétaire perpétuel, tout en occupant les lieux. En 1784, « unanimement et par acclamation », Séguier est nommé protecteur de l’académie, peu après le décès de Mgr de Becelièvre. Une forme de processus de transition se met en place : c’est sous la dictée de Séguier, qui a quasiment perdu la vue, que Jean-César Vincens rédige ainsi en mai 1784 l’inventaire des collections de mineralia, reclassées en suivant le « système de Daubenton »[11].
L’académie doit attendre la disparition de Marianne Séguier, le 28 mars 1786 pour pouvoir disposer pleinement de l’ensemble de l’hôtel, Séguier s’étant éteint le 1er septembre 1784. Le bâtiment devient alors accessible au public « le mardi, le jeudi et le samedi, hors les temps de vacances selon l’institution de M. Séguier[12] », mais ni la bibliothèque ni les collections d’histoire naturelle ne sont encore pleinement consultables. Une partie des académiciens ne se contentant pas toutefois de la jouissance paisible de ce prestigieux héritage : un petit nombre d’entre eux s’efforcent de mettre en valeur et d’enrichir les collections. Jean Razoux, le nouveau secrétaire perpétuel, s’attache à récupérer des lettres du savant, obtenant notamment de Mme Schlaeger celles qui avaient été adressées à son mari[13]. Les projets dans les décennies qui précèdent les événements révolutionnaires s’entremêlent avec enthousiasme : les négociations conduites à partir de 1787[14] en vue d’installer les collections dans la Maison Carrée, qui aurait été alors échangée contre l’hôtel avec les augustins, ne peuvent toutefois aboutir, pas plus que la tentative d’impression, en 1787, de l’Index absolutissimus[15], menée par De Villas père et fils, qui souhaitaient également publier l’ensemble des inédits du savant.
Faute de fonds propres, l’académie a en fait du mal à valoriser autant qu’elle le souhaiterait ses collections. Elle doit constamment compter sur les « efforts extraordinaires » de ses membres, « de fortune et d’état différents », pour entretenir le bâtiment, tout en s’efforçant de maintenir l’existant. En 1786, la compagnie, appuyée par le trésorier des États provinciaux, qui écrit en ce sens au baron de Breteuil, décide de s’adresser à Charles-Alexandre de Calonne afin de « recourir à la munificence de Sa Majesté[16] », à une date où la mise en œuvre d’un nouveau plan d’urbanisme prévoit la création d’un premier musée municipal[17]. Elle demande donc « un secours annuel de 2 000 livres nécessaires à la conservation des cabinets Séguier & à l’entretien des bâtiments qui les renferme ». La conjoncture est cependant mauvaise : la demande ne peut aboutir, malgré l’intervention des états provinciaux qui sollicitent le baron de Breteuil.
Au moment où intervient la suppression des académies, le 8 août 1793, la compagnie, très affaiblie par les divisions politiques et par le déclassement d’une grande partie de ses membres, n’est de toute évidence plus en mesure de faire face aux dépenses afférentes au fonctionnement du bâtiment-musée, dont on ne sait à vrai dire plus grand-chose, faute d’archives. Les collections vont dès lors connaître une autre destinée, en quittant définitivement la « maison des sciences » vendue comme bien nationale.
[1] Emmanuelle Chapron, « Monde savant et ventes de bibliothèques en France méridionale dans la seconde moitié du XVIIIe siècle », Annales du Midi, 2013, 283, p.409-429, p. 417-418.
[2] Charles Liotard, « Donation de Séguier à l’académie de Nîmes », Mémoires de l’académie de Nîmes, VIII, 1885, p. 299-325.
[3] Bib. Mun. de Nîmes, ms 248.
[4] Académie de Nîmes. Lettre de l’académie à M. de Calonne. Non datée [1786]
[5] Jean Torlais, « l’académie de La Rochelle et la diffusion des sciences au xviiie siècle », Revue d’histoire des sciences et de leurs applications, année 1959, volume 12, p. 111-125, p. 117.
[6] Paula Findlen, Possessing Nature: Museums, Collecting and Scientific Culture in Early Modern Italy, Oakland, University of California Press, 1996.
[7] Krzysztof Pomian , « Leçons italiennes : les musées vus par les voyageurs français au xviiie siècle », in Les Musées en Europe à la veille de l’ouverture du Louvre, Paris, Klincksieck, 1995, p. 335 361.
[8] Claude Nicolet, « Le véritable projet de Jean-François Séguier », in Alla signora, Mélanges offerts à Noëlle de la Blanchardière, Collection de l’École française de Rome, 204, Rome, 1995, p. 311-328.
[9] Un État des sommes payées à raison de la donation du cabinet maison de M. Séguier, dressé en 1780, indique que 3 843 livres 15 sols et 6 deniers furent alors dépensées par l’académie, dont 300 livres de droit d’enregistrement au Parlement, 1 500 aux carmes, 719 à la Ferme générale et 384 aux deux notaires, 500 livres ayant été versées à M. de la Robole pour ses démarches.
[10] Le conseil de ville, en 1781, décide pour sa part de dénommer Rue Séguier l’artère où se trouvait l’hôtel.
[11] Arch. dép. du Gard, 4 T 18.
[12] Christiane Lassalle, « La maison de J.-F. Séguier », in Jean-René Gaborit (dir.), Mécènes et collectionneurs, actes du 121e Congrès national des Sociétés Historiques et Scientifiques, Nice, 1996, tome 2 : Lyon et le Midi, Paris, CTHS, 1999, p. 121-142, p. 140 ; Calendrier de la ville de Nismes et de sa sénéchaussée pour l’année 1789, p. 112-113.
[13] Voir les archives de l’académie de Nîmes, et notamment les lettres de la veuve Schlaeger.
[14] Arch. dép. du Gard, C 181.
[15] Fonds Vincens-Devillas, musée du Vieux Nîmes, vol. 1 (non coté).
[16] Archives de l’académie de Nîmes. Lettre écrite à M. le baron de Breteuil par M. de Joubert le 27 janvier 1786 et Lettre à M. de Calonne, non datée. Il existe également un brouillon de mémoire adressé à Calonne.
[17] Marie-Luce Pujalte-Fraysse, « Nîmes a la fin du xviiie siecle : une ville éprise de son histoire. Le projet de Jean-Arnaud Raymond, architecte des Etats de Languedoc », Bulletin monumental, 168, 2, 2010, p. 149-157.
Métadonnées
Identifiant
Période concernée
Fichier texte
Référence(s) bibliographique(s)
Identifiant
Licence
Citer cette ressource
Collection
Catalogue des plans et estampes de la collection Séguier, 1784. Archives de l'académie de Nîmes.
Métadonnées
Auteur
Source
Date

Lettre de Joubert au baron de Breteuil 1786 au sujet des collections de l'académie de Nîmes. Archives de l'académie de Nîmes.
Métadonnées
Auteur
Source
Date
