Un discours académique : Le Parallèle des antiquités de France et d’Italie (1758)

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Séguier fut reçu associé étranger de l’académie royale de Nîmes le 2 novembre 1752, alors qu’il résidait à Vérone. Il devint académicien ordinaire le 27 novembre 1755, peu de temps après son retour à Nîmes. Sa réception ne se fit pourtant qu’à l’occasion de la séance du 3 novembre 1757, durant laquelle il prononça une brève allocution, avant d’intervenir de façon plus ambitieuse les 22 et 29 décembre, puis 9 février 1758, où il lut la traduction, réalisée par son frère, d’une dissertation de Giovanni Bianchi « sur la personne et le système de Pythagore[1] ». Le premier texte d’importance, composé par lui-même, ne fut présenté que le 12 mai 1758. Bien conservé, le brouillon de son Parallèle des antiquités de France et d’Italie, allusion explicite à l’ouvrage de Fréart de Chambray[2], est caractéristique de ces écrits de circonstance, soigneusement archivés, mais n’ayant fait l’objet par la suite d’aucune réutilisation.

Le texte, selon l’usage de Séguier, est rédigé sur la partie gauche de la page, l’autre moitié étant laissée libre, afin d’y porter les notes et les corrections, assez nombreuses dans le cas présent. Les folios, à l’origine, avaient été cousus ensemble et le mémoire fut longtemps conservé plié en deux dans le sens de la hauteur, comme en attestent les marques encore bien visibles, malgré la mise à plat ultérieure du document.

Conforme dans la forme et dans le style aux usages du discours académique, cette composition gagne à être replacée dans son contexte, afin d’en mieux appréhender les objectifs et les stratégies argumentatives. Élu le 12 janvier 1758 directeur de l’Académie, Séguier semble avoir composé dans l’urgence un texte rédigé à la première personne afin d’inciter ses confrères, comme il l’exprime sans détour, « à l’étude de l’Antiquité et à la recherche des anciens ouvrages des Romains ». Il souhaite avant tout renouer avec les statuts de 1682. Il a pour objectif, « en remettant sous les yeux tant de chefs d’œuvres de l’Antiquité », de pouvoir exciter une saine émulation, qui fasse « estimer ces restes autant qu’ils le méritent et autant qu’ils le sont de ceux qui par un goût marqué y ont consacré leurs études ».

Il s’efforce donc dans un premier temps asseoir sa légitimité. Bien qu’auréolé du prestige que lui confèrent de flatteuses affiliations académiques, il est probablement peu ou mal connu par bon nombre des membres de la docte assemblée, qu’il n’a commencé à fréquenter, et encore bien timidement, qu’à partir de décembre 1756. Il n’a à cette date publié aucun ouvrage portant sur les Antiques et son index des inscriptions n’est encore qu’un chantier avancé, bien que sa réputation soit déjà solidement établie dans le monde antiquaire. Il s’appuie donc avant tout sur la filiation intellectuelle et affective qui le lie à Scipione Maffei, ayant été « assez heureux, comme il l’affirme, que de m’attacher à un mécène qui m’a mis à portée de considérer par moi-même ces précieux restes de l’Antiquité ».

Cet ancrage savant revendiqué l’amène ensuite à exposer ses propres conceptions méthodologiques, préfigurant ce qu’il allait rédiger et amplifier quelques années plus tard dans les Prolégomènes destinés à introduire son index des inscriptions[3]. Dans cette optique, il revendique une place éminente, si ce n’est centrale, à l’expérience et à l’examen direct, qui ne peut reposer, du moins quand cela est possible, que sur le rapport immédiat à l’objet, sans toujours pouvoir éviter l’écueil de l’hypercriticisme auquel avait souvent succombé Maffei[4]. « Peu accoutumé à voir par les yeux d’autrui et à m’en rapporter à des voyageurs fautifs et souvent infidèles », il estime pour sa part avoir suffisamment « parcouru la France et l’Italie » pour être en mesure d’esquisser une comparaison objective des antiquités des deux nations, sans sombrer dans le travers des conjectures. La confrontation de ses observations, alliée à sa vaste et exhaustive culture livresque, constitue le ciment même de l’autorité du discours.

Bien qu’ayant passé vingt-trois en Italie, Séguier, malgré l’héritage mafféien, demeure cependant attaché à une vision des Antiques très centrée sur Rome même – en tant que mesure du goût – et sur celles de France. L’héritage savant du Grand Siècle est chez lui explicitement affirmé, d’autant qu’il renvoie aux origines mêmes de l’académie de Nîmes. Il déplore dans cette optique qu’il n’y ait plus « parmi nous des Colbert et des Desgodetz animés d’un semblable zèle pour les antiquités de France », regrettant que l’on « n’ait pas suivi dans le royaume le plan que le second « exécuta pour les édifices antiques de Rome » dessinés « sous tous les différents points de vue nécessaires à l’architecture et au connaisseur ». Un tel attachement à l’œuvre de Desgodetz n’a alors rien de singulier : le Recueil des édifices antiques de Rome demeure une norme en France tout au long du siècle, étant réédité par Jombert en 1779. Il reste une référence jusqu’au xixe siècle[5].

Ces grands principes directeurs, en forme de manifeste, qui constituent en réalité la teneur clé du discours, étant exposés, Séguier se livre à un panorama détaillé, essentiellement discursif, des antiquités italiennes, entremêlant là-encore son expérience et sa maîtrise peu commune de la bibliographie. Il cite abondamment les auteurs antiques, mais aussi Palladio, Serlio ou Bianchini, Graevius, Maffei, Mazza, Mazzochi, Venuti pour se cantonner à quelques auteurs modernes. Faisant référence aux antiques de Rome, il estime, renouant avec le propos introductif, que c’est d’après « ces modèles que nous avons pris le goût de la bonne architecture », « la France méridionale, et surtout la province de Languedoc, [renfermant] les plus belles antiquités et les plus dignes de notre attention ».

Séguier, partant de ce constat, et afin de rappeler leurs devoirs à ses confrères, se lance dès lors dans une description solidement étayée des monuments de Narbonnaise, recourant là encore abondamment aux auteurs, qu’il cite avec sa précision coutumière. Il ne se limite pas cependant à cette seule province, car il s’étend aussi sur les antiquités de Saint-Rémy, Fréjus, Orange, Vienne, Autun ou Reims, qu’il avait examinées directement, mais aussi sur celles de Tintignac en citant Baluze, ainsi que sur celles de Bordeaux et Saintes qu’il n’a pourtant jamais approchées.

À l’issue de cette pérégrination savante, visiblement écrite d’un trait de plume, la péroraison se recentre tout naturellement sur le propos liminaire. Prenant à témoin sans le nommer Léon Ménard, qui va « couronner son ouvrage par les explications détaillées de nos inscriptions et de nos antiquités[6] », il exhorte ses confrères, « à prendre soin de tant de précieux monuments qui ont bravé l’injure des temps et que nos voisins nous envient ». Il dénonce donc, pour mieux louer Ménard, les travaux antérieurs « qui pèchent par le défaut d’exactitude, [n’étant] faits que d’idée ».  Une « académie consacrée à l’étude de l’antiquité » se doit donc de relever « le mérite de ces monuments », et d’ajouter que « ce sont des engagements que vous avez pris, [des] règlements que je vous remets sous les yeux ; il est de votre intérêt de vous les rappeler et de votre gloire de les suivre[7] ».

Le Parallèle se distingue ainsi des écrits conservés par sa finalité, tant il s’agit davantage de convaincre que de démontrer, quitte à alléger – très relativement – la matière savante.

 

[1] Giovanni Bianchi, Se il vitto pittagorico di soli vegetabili sia giovevole per conservar la sanita per la cura di alcune malattie, Venise, 1752, traduit par René Séguier (1705-1766), son frère, à partir d’une copie du manuscrit achevé en 1747.

[2] Roland Fréart de Chambray, Parallèle de l’architecture antique avec la moderne, Paris, 1650.

[3] Michel Christol, « Jean-François Séguier et l’épigraphie. L’aboutissement d’une réflexion », in Emmanuelle Chapron et François Pugnière (dir.), Écriture épistolaire et production des savoirs au xviiie siècle, Paris, Garnier, 2019, p. 127-142.

[4] Mouza Raskolnikoff, Histoire romaine et critique historique dans l’Europe des Lumières. La naissance de l’hypercritique dans l’historiographie de la Rome antique, Rome, École française de Rome, 1992.

[5] Olga Medvedkova, « La fortune des Édifices antiques de Rome (1682) dans l’Europe des xviiie et xixe siècles », Journée d’étude organisée par le projet Desgodets. Corpus et outils de la recherche en sciences humaines et sociales et l’Institut national d’histoire de l’art, 31 mars 2010, inédit.

[6] Léon Ménard, Histoire civile, ecclésiastique et littéraire de la ville de Nismes, Paris, Chaubert & Herissant, 7 vol. Le tome VII, consacré aux antiquités de Nîmes, ne paraît qu’à la fin 1758.

[7] L’académie devait rassembler « des gens d’esprit et de savoirs lesquels se sont particulièrement appliqués à l’étude de l’Antiquité pour l’intelligence de ce qu’il y a de plus rare et de plus obscur dans les débris qui leur restent des ouvrages des Romains, dont les fameux monuments attirent dans ladite ville des curieux de toutes parts, & ont cru qu’il était de leur honneur de joindre la pureté du langage françois à la connaissance de l’ancienne histoire ». Lettres patentes de Sa Majesté pour l’établissement de l’académie royale de Nismes. 27 mars 1783. Archives de l’académie de Nîmes.

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1758

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François Pugnière. Un discours académique : Le Parallèle des antiquités de France et d’Italie (1758), dans Matières à penser Jean-François Séguier (1703-1784), consulté le 12 Juillet 2025, https://kaleidomed-mmsh.cnrs.fr/s/vie-savante/ark:/67375/7Q9D8mNRfm2Z

Collection

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Parallèle des antiquités. Bibl. mun. de Nîmes, ms. 129.

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Auteur

Ville de Nîmes [Droits ville de Nîmes]

Source

Bibl. mun. de Nîmes, ms. 129

Date

1758

Jean Bonnet, Maison Carrée de Nîmes, s.d. Bibl. mun. de Nîmes, ms. 549.

Métadonnées

Auteur

Ville de Nîmes [Droits ville de Nîmes]

Source

Bibl. mun. de Nîmes, ms. 549.

Date

s.d. [Début XVIIIe s.]