Séguier, Lord Hamilton et les laves du Vésuve
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En 1781, paraissent à Paris chez Moutard les Œuvres complètes de M. le chevalier Hamilton, éditées par l’abbé Jean-Louis Giraud-Soulavie (1752-1813). Dans la note VI, l’auteur fait référence à deux spécimens de « laves spongieuses […] distortes & entortillées […] comparées à un câble noué & embrouillé » qui auraient été envoyés à Séguier en 1777. L’abbé les considère alors comme « les deux plus beaux morceaux de cette lave que j’aye jamais vus[1] ».
Il est difficile de savoir quand Séguier et Hamilton entrèrent en relation épistolaire, car il ne reste aujourd’hui que quelques fragments de leur correspondance, conservés dans les archives de l’académie de Nîmes, auxquels il faut rajouter deux lettres de Francis Greville, comte de Warwick (1719-1773), beau-frère d’Hamilton. Séguier l’avait reçu à Nîmes en 1772, accompagné par son fils Charles Francis Greville (1749-1809), amateur d’antiquité et féru de minéralogie[2]. Le père, en remerciement, lui avait fait envoyer dès son retour à Londres les deux premiers tomes des Antiquités étrusques, grecques et romaines, commandités par Hamilton et reliés avec grand soin[3]. Séguier, visiblement très soucieux d’obliger de tels visiteurs, avait expédié en retour au fils une caisse de pétrifications. La mort du comte, à la fin 1773, mit malheureusement un terme à des échanges prometteurs qui auraient pu offrir à Séguier des perspectives stimulantes, d’autant que son correspondant était un familier de John Hill (1716-1775) et de lord Bute[4] (1713-1792).
La première lettre d’Hamilton à nous être parvenue est quant à elle datée du 6 février 1773. Le scripteur accuse réception de celle de Séguier, en date du 12 janvier, qui lui avait été remise par Jean-Antoine-Hubert Roudil de Berriac, lors de son passage à Naples. Le Britannique, qui connaît déjà de toute évidence son interlocuteur, le remercie des éloges qui lui sont adressés au sujet du premier tome des Antiquités étrusques, grecques et romaines, quoiqu’il n’ait eu « d’autre part que celui de veiller à l’exécution du dessin des planches et d’avoir donné quelques remarques sur les arts[5] ». La seconde partie de la lettre porte sur la nature des laves du Vésuve, à une époque où Séguier s’est pris de passion pour la « matière volcanique ».
Cet intérêt remonte en fait aux années véronaises. En 1753, Charles Benjamin de Lubières (1714-1790) lui avait fait envoyer ses premiers échantillons de laves campaniennes, auxquels il rajouta des « cendres » de l’Etna que lui fit parvenir de Sicile le père Salvatore Maria Di Blasi (1719-1814)[6]. Johann Jacob Ferber (1743-1790) lui fit par la suite acheminer, cette fois à Nîmes, une nouvelle caisse d’échantillons campaniens en 1772[7]. C’est par ailleurs à l’automne 1773 qu’il se rend à Agde pour observer et collecter les laves et les « prismes » de Saint-Thibéry. La nature des laves l’interroge.
Séguier connaît alors bien les travaux du père Giovanni Maria Della Torre (1710-1782) et de William Hamilton. Ce dernier vient tout juste de publier en 1772 ses Observations on Mount Vesuvius, Mount Etna, and Other Volcano's[8], en rassemblant les lettres et dissertations de sa main insérées dans les Philosophical transactions. Il travaille à l’édition des Campi Phlegraei, qui seront imprimés à Naples en 1776[9]. Il est de ce fait pour Séguier un interlocuteur précieux. Il joint donc à sa lettre un « mémoire » sur les laves du Vésuve, accompagné d’une série de questions sur les propriétés et la nature de celles-ci. Hamilton ne répond cependant qu’imparfaitement à ses sollicitations : il se contente de le renvoyer aux travaux du Dr Michael Morris, qui « a travaillé deux années sur ces matières par ordre de la Société royale », et qui doivent paraître dans les Philosophical transactions. Roudil de Berriac, recommandé par Séguier, fut en tout cas particulièrement bien reçu par le Britannique[10], tout comme il le fut par le père Della Torre[11], que Séguier avait bien connu à Venise au début des années 1750.
La seconde missive d’Hamilton conservée, en date du 7 décembre 1774, n’est pour sa part qu’une lettre de recommandation adressée à Séguier afin qu’il reçoive le jeune Bernard Poyet (1742-1824), qui s’apprête à rentrer en France et qui « témoigne l’envie de voir les antiquités et d’y faire quelques dessins ». Il l’adresse donc à son interlocuteur nîmois, qui avait déjà accueilli dans des conditions analogues Charles-Louis Clérisseau (1721-1820) en 1768. Hamilton profite également de l’occasion pour renouveler sa promesse de faire envoyer à Nîmes le tome 3 des Antiquités étrusques, grecques et romaines, qui venait d’être achevé à Florence. La confiance qu’il semble accorder au savant nîmois le pousse à quelques confidences : il n’hésite pas en effet à s’épancher, en égratignant au passage Pierre-François Hugues d’Hancarville (1719-1805), chargé de la rédaction de l’ouvrage. « Ce malheureux, lui avoue-t-il, a du talent et du génie, mais avec cela des défauts qui m’ont bien coûté des chagrins pour ne rien dire sur le chapitre de l’argent. » Séguier ne reçut pourtant jamais les tomes 3 et 4 que l’académie royale de Nîmes réclama en vain en 1786[12].
Ces lettres ne permettent pas d’établir quoi qu’il en soit l’origine des deux échantillons de « laves spongieuses » reçus en 1777. Tout laisse à penser que les liens noués en 1773-1774 avec Hamilton se distendirent rapidement. Pourrait-il s’agir en réalité d’une erreur de la part de Giraud-Soulavie ? Ces mineralia de grand prix n’auraient-elles pas en réalité fait partie des échantillons rapportés par Roudil de Berriac en juin 1773 ? Rien ne le confirme ni ne l’infirme dans les lettres que ce dernier adressa à Séguier, où il n’est question que d’« une boîte [...] qui contient des cendres [...] et des échantillons de toutes les productions de cette montagne célèbre, en lave, rapilles, souffre de toutes couleurs, marcassites, cristallisations, huiles ». On en est réduit aux hypothèses.
Les spécimens semblent aujourd’hui avoir disparu des collections nîmoises. La Bibliothèque de Nîmes conserve néanmoins un précieux témoignage de cette éphémère et prestigieuse relation : elle recèle toujours les deux premiers tomes de l’ouvrage de d’Hancarville/Hamilton, fraîchement restaurés et toujours habillés de la belle reliure anglaise réalisée pour le comte de Warwick[13].
[1] Giraud Soulavie fit la connaissance de Séguier en 1777. Il lui avait été recommandé par Barthélemy Girard. Arch. dép. de l’Ardèche, fonds Mazon, F 55.
[2] Ami de Banks et de Smithson, il devint membre par la suite de la Royal Society d’Édimbourg et de la Society of Dilettanti.
[3] Pierre-François Hugues d’Hancarville, The Collection of the Etruscan, Greek and Roman Antiquities..., Antiquités étrusques, grecques et romaines tirées du cabinet de M. Hamilton..., Naples, 1767-1776, 4 vol.
[4] John Stuart, 3e lord Bute, l’auteur des très estimées Bute’s botanical tables (1785).
[5] Séguier ne possède pas à cette date l’ouvrage, fort onéreux.
[6] BnF, NAF, 6568.
[7] Bibl. mun. de Nîmes, ms. 94.
[8] Observations on Mount Vesuvius, Mount Etna, and Other Volcano's in a series of letters addressed to the Royal Society from the Honorable Sir William Hamilton, Londres, T. Cadell, 1772.
[9] William Hamilton, Campi Phlegræi. Observations on the volcanos of the Two Sicilies, Naples, Fabris, 1776, 2 vol. [En français et en anglais]. Il existe un supplément, imprimé en 1779.
[10] Le 13 février 1773. Hamilton confia à Berriac un exemplaire des Observations on Mount Vesuvius.
[11] Bibl. mun. de Nîmes, ms. 147. « Il est bon que je m’acquitte des ordres du P. de La Torre qui, sur votre recommandation, me reçut si bien ». Aucune lettre entre Séguier et Della Torre n’a été conservée.
[12] Arch. de l’Académie de Nîmes, non cotée.
[13] Les deux autres volumes furent acquis ultérieurement.
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Œuvres complètes de M. le chevalier Hamilton, Paris, Moutard, 1781.
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Lettre de Lord Hamilton à Séguier, 7 décembre 1774.
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Pierre-François Hugues d’Hancarville, The Collection of the Etruscan, Greek and Roman Antiquities..., Antiquités étrusques, grecques et romaines tirées du cabinet de M. Hamilton, Paris-Naples, 1767-1776, 4 vol.
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