Séguier traducteur

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Séguier, lorsqu’il rencontre Scipione Maffei en octobre 1732, maîtrise, outre la langue d’oc, essentiellement le latin et dans une moindre mesure le grec [1]. Durant son périple européen, il prend également des leçons d’anglais à Paris [2]. La langue anglaise ne lui sera toutefois jamais vraiment familière. Il en va tout autrement de l’italien, dont il débute l’apprentissage dès 1733. Dès la fin des années 1730, il possède cette langue avec aisance, non sans gallicismes. En 1747, Hubert de Folard, son ami d’enfance, affirme dans une de ses lettres, non sans exagération, qu’il écrit « comme un membre de l’académie de la Crusca ».

Les traductions qu’il publie en 1740 et en 1748 ne relèvent pourtant d’aucune velléité littéraire. Elles ne s’inscrivent guère non plus dans la continuité de ses travaux ordinaires et restent avant tout le fruit des circonstances.

C’est probablement à la demande de Scipione Maffei qu’il entreprend en effet la traduction des Mémoires du frère de ce dernier, Alessandro. L’aîné des Maffei était entré au service du duc de Bavière en 1683. Ayant d’abord combattu en Hongrie, il avait été promu colonel en 1696, commandant en second l’armée bavaroise lors des premières campagnes de la Guerre de Succession d’Espagne. Il reprit par la suite du service contre les Ottomans, au service de l’Empereur, avant de devenir en 1717 Bayerish Feldmarchall. Ses mémoires, tenus secrets, furent trouvés en 1730 dans sa cassette personnelle. Son frère décide alors de publier le texte conservé (il manque la période 1683-1695) en enlevant « ses affaires domestiques & ses aventures particulières », ainsi que les développements, très descriptifs, de ses récits de voyage à Rome ou à Naples. Il corrige par ailleurs le texte, en reprenant les phrases qu’il juge incorrectes, son aîné n’ayant « point fait d’étude de sa langue ». Il accompagne par ailleurs le texte de Notizie intorno all’ autore, solidement étayées, mais qui sont avant tout un vigoureux plaidoyer pro domo visant à défendre la mémoire du défunt. Scipion Maffei souhaite principalement infirmer « les faussetés qu’on a imprimées dans deux livres modernes », qu’il fustige avec véhémence. Il vise principalement les Mémoires de M. de La Colonie, publiés à Bordeaux en 1730 [3], qui fourmillent selon lui d’erreurs factuelles attentatoires à l’honneur de sa maison. Le livre est imprimé à Vérone en 1737 par Jacopo Vallarsi. C’est la réimpression en 1737 des Mémoires de la Colonie, sous fausse adresse à Bruxelles, puis en 1738 à Utrecht chez Etienne Neaulme, qui pousse cependant Séguier à entreprendre la traduction du texte. On ne possède malheureusement que peu d’informations sur la genèse et la conduite de cette entreprise, qui n’eut rien d’aisé et sur laquelle Séguier ne s’étend pas dans sa correspondance, ni dans son Eloge de Maffei [4].

La seconde traduction qu’il publie en 1748 s’avère bien plus modeste, tant le texte originel est court (46 pages). Pierre Raudot, médecin dijonnais, avait étudié la médecine à Reims avant de s’établir en Bourgogne, où il devint l’un des premiers pensionnaires de l’Académie de Dijon [5]. Il y publie en 1745 une Dissertation sur la maladie épidémique des bestiaux, à vrai dire assez confidentielle, qui finit par parvenir dans les mains de Séguier à une époque où une nouvelle épidémie de peste bovine ravage l’Italie du Nord. C’est en 1709 [6] qu’étaient apparues en Russie les premières mentions de cette épizootie dévastatrice, qui atteignit le Frioul et la Vénétie en 1711. Elle s’était étendue dans la majeure partie de l’Europe occidentale, affectant notamment le Danemark, les Pays-Bas, puis les Îles britanniques en 1714-1715, et l’est du royaume de France en 1714-1717. Une seconde vague épidémique se manifesta ensuite entre 1726 et 1730, touchant l’Europe centrale, puis orientale, atteignant à nouveau la Vénétie, où elle subsista de manière endémique. C’est la troisième épizootie qui fut toutefois à l’origine des travaux de Raudot. Venue de Hongrie, elle atteignit la France, mais aussi la Hollande et l’Angleterre en 1745, puis les rives de la Baltique, où elle sévit jusqu’en 1747. Elle frappa également le Piémont en 1744, avant que la maladie ne ravage toute l’Italie du Nord. Le Véronais fut ainsi atteint en novembre 1746, les dernières mesures sanitaires n’étant levées qu’en 1748.

La dissertation de Raudot n’a alors rien d’unique. Les publications sur le sujet, à la faveur de la contagion, se sont en effet multipliées à travers l’Europe savante. Les réflexions couchées sur le papier par le médecin sont celles d’un homme de terrain, plus que d’un théoricien. Il a en effet procédé à de nombreuses « ouvertures » d’animaux morts pour étayer son propos. Il est persuadé qu’il s’agit d’une fièvre pestilentielle « portée à son dernier degré de malignité ». C’est ce qu’il s’efforce de prouver dans la première partie de son texte, proposant dans la seconde un remède, avant de développer dans la troisième « les précautions que l’on peut prendre pour s’opposer à la contagion ».

Une lecture attentive de la Prefazione del Traduttore, rédigée par Séguier en tête du Del Male epidemico de’ bestiami qui fut imprimé en 1748 à Vérone, permet d’entrevoir ce qui put le pousser à traduire cet ouvrage. « La Dissertazione, affirme ainsi Séguier, che qui si traduce è d’un dotto soggetto che ha cercato anch’ esso di soccorrere gli animali si necessari per i sostentamento della vita umana. I rimedi che suggerisce hanno avuto un esito felice : perciò s’è creduto far cosa grata al pubblico facendogli palesi in questa presente urgenza per via d’una traduzione [7] ». Il s’agit donc pour lui d’être utile, en mettant l’érudition au service du bien public, dans la droite ligne de la pensée mafféienne.

C’est aussi pour lui l’occasion de promouvoir les mesures qu’avait conseillées de prendre Giovanni Bianchi en 1738, en vain (la maladie sévissait alors de manière endémique dans les environs de Rimini). Les débats qui portent sur la nature du mal, sur les remèdes et sur les règles sanitaires à appliquer sont alors intenses et pour le moins polémiques. Séguier, fidèle à sa prudence ordinaire, se garde cependant de prendre parti, laissant « à chacun la liberté de choisir ce qu’il pense ».

Les remèdes suggérés par Raudot ne conviennent malgré tout guère à Giovanni Bianchi, qui critique l’ouvrage bien qu’il y soit loué. Cette modeste traduction, de façon plus générale, ne semble guère avoir connu de succès. Elle est aujourd’hui très rare, contrairement aux Mémoires de Maffei. Séguier continue par la suite à s’intéresser à la médecine vétérinaire, mais de façon marginale, sans se risquer désormais à publier quoi que ce soit. Il confesse ainsi en 1772 à Pierre-Joseph Amoreux n’y avoir « pas assez réfléchi [8] ». Il lui communique alors les ouvrages et les notes qu’il avait accumulés à Vérone, que le médecin montpelliérain inclura par la suite dans sa Seconde lettre, contenant la bibliothèque des auteurs vétérinaires [9].

 

[1] Il acquiert quelques rudiments d’hébreu à Venise dans les années 1740, mais il est difficile d’en évaluer le degré de maîtrise.

[2] Bibl. mun. de Nîmes, ms 416. Lettre de Séguier à Baux, 4 octobre 1733.  

[3] Mémoires de monsieur de la Colonie, maréchal de camp des armées de l'électeur de Bavière, Bordeaux, 1730.

[4] L’édition originale in 8° comptait 556 pages.

[5] Henri Giroux, « Pierre Raudot, médecin et académicien (1712-1793) », Mémoires de l’Académie des sciences, arts et belles-lettres de Dijon, 126, 1983-1984, p. 231-241.

[7] La dissertation, qui est ainsi traduite, est celle d’une personne érudite qui a essayé de sauver les animaux nécessaires à la subsistance des hommes. Les remèdes qu’il suggère ont connu une issue favorable : c’est pourquoi on a cru être utile au public en traduisant cet ouvrage pour faire face à l’urgence de la situation ».

[8] BnF, NAF, 6571.

[9] Seconde lettre d’un médecin de Montpellier à un magistrat de la Cour des comptes, aides et finances de la même ville, contenant la Bibliothèque des auteurs vétérinaires, Montpellier, 1773.

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Identifiant

ark:/67375/7Q98wkbrPk2B

Période concernée

1738-1748

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Texte 35

Référence(s) bibliographique(s)

François Vallat, Les bœufs malades de la peste : La peste bovine en France et en Europe (XVIIIe-XIXe siècle), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2009.

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ark:/67375/7Q98wkbrPk2B

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Citer cette ressource

François Pugnière. Séguier traducteur, dans Matières à penser Jean-François Séguier (1703-1784), consulté le 22 Mai 2025, https://kaleidomed-mmsh.cnrs.fr/s/vie-savante/ark:/67375/7Q98wkbrPk2B

Collection

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Alessandro Maffei, gravure Johann-Heinrich Schawberg. Mémoires du marquis Maffei, La Haye, Neaulme, 1740.

Métadonnées

Auteur

François Pugnière [Droits ville de Nîmes]

Source

Bibl. Mun. de Nîmes, 11 857

Date

1738

Mémoires du marquis Maffei, La Haye, Neaulme, 1740.

Métadonnées

Auteur

François Pugnière [Droits ville de Nîmes]

Source

Bibl. mun. de Nîmes, 11 857

Date

1738

Pierre Raudot, Del Male epidemico de’ bestiami, Vérone, 1748.

Métadonnées

Auteur

Ville de Nîmes [Droits ville de Nîmes]

Source

Bibl. mun. de Nîmes, 34 204

Date

1748