Un premier recueil épigraphique : le manuscrit 109

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Au sein de l’abondante documentation laissée par Séguier le manuscrit 109[1], tant par son homogénéité que par sa précocité, se distingue. C’est le seul témoignage d’ampleur que l’on ait conservé pour la période antérieure au départ de 1732.

Au début du xviiie siècle, les inscriptions nîmoises ont fait l’objet depuis près de deux siècles d’un travail de recension et d’explication. Elles sont essentiellement connues à travers les ouvrages imprimés de Jean Poldo d’Albenas (1559/1560), de Johann Jacob Grasser (1607, 1614, 1617)), mais aussi à travers ceux de Jan Gruter (1601), Abraham Gölnitz (1655), Thomas Reinesius (1682), Jacob Spon (1683 et 1685) ou Albert-Henri de Sallengre (1716-1719). Il existe par ailleurs d’importants corpus manuscrits : ceux de Jacques Davin (ca. 1570-1580), d’Anne Rulman (1626-1627) ou de Gaillard Guiran (1629, préface de 1638 et 1652)[2]. Ils sont cependant peu accessibles, même si des copies circulent. Le recueil Guiran, passé en 1717 dans les mains de Sallengre, a été ainsi entièrement retranscrit par l’avocat Jacques Demissol. C’est à partir de cette version que François Graverol réalisa ensuite sa propre copie, celle à laquelle Séguier eut accès[3].

À l’époque où le jeune avocat commence ses premiers relevés, vers 1725, la passion antiquaire qui avait animé les élites nîmoises ne semble plus aussi marquée, malgré la fondation de l’Académie royale en 1682. Les travaux portant sur les antiquités nîmoises se font rares et négligent les inscriptions. La Description des antiquitez de la ville de Nismes[4] (1701) du conseiller au présidial Charles-Joseph de la Baume (1644-1715), tout comme la Dissertation sur les antiquités de la ville de Nismes (1703) de l’évêque Fléchier[5] s’appuient essentiellement sur des sources secondaires, tout comme Henri Gauthier, qui, dans son Histoire de la ville de Nismes et de ses antiquitez, (1720 et 1724), n’accorde qu’une place limitée aux données épigraphiques. Son chapitre XV. Des inscriptions & épitaphes se compose ainsi d’à peine deux pages. La Nouvelle description des antiquités de la ville de Nismes[6] (1726) ne fait quant à elle référence qu’à quelques inscriptions, utilisées à des fins argumentatives.

Le jeune Séguier, qui a commencé d’abord par s’intéresser à la science des médailles, nourrit aussi très précocement une passion marquée pour les inscriptions, aiguillonné notamment par le père Nicolas Sarabat qui compta beaucoup dans sa formation intellectuelle[7]. C’est peu après son retour à Nîmes, en 1725, après avoir terminé ses études de droit à Montpellier, qu’il commence cependant à vraiment s’insérer dans le monde antiquaire méridional. S’esquisse alors un premier réseau de correspondance qui le met en contact avec des figures d’importance. En 1728, il fait la connaissance de Joseph Bimard de La Bastie-Montsaléon (1703-1742) par l’intermédiaire de son cousin Raymond Novy de Caveirac. Le baron, qui exercera une forte influence sur Séguier, l’introduit auprès de Jean Bouhier (1673-1746), premier président du Parlement de Bourgogne, qui venait de vendre sa charge pour se consacrer aux lettres. Dans le courant de l’année 1729, il entre également en relation, par l’intermédiaire des jésuites de Nîmes, avec Alexandre Xavier Panel (1699-1777), qui résidait alors à Avignon où il achevait son noviciat. La rencontre avec ce jésuite est marquante : elle joue en effet un rôle clef dans l’extension de ce premier réseau d’échanges savant, en élargissant considérablement les horizons de son correspondant. Il le met ainsi en liaison avec l’avocat Jean Raybaut (1643-1752) à Arles, mais aussi avec le président Henri-Louis Thomassin de Mazaugues (1684-1743) à Aix ou avec Cardin Le Bret de Flacourt (1675-1734), intendant de Provence.

C’est dans ce contexte particulièrement stimulant que Séguier s’engage dans la composition d’un premier recueil d’inscriptions. Sa réalisation révèle une science épigraphique, acquise de manière empirique, accordant une place importante au support et aux éléments matériels de l’inscription. La figure, le dessin plus exactement, tient en effet une place centrale dans ce premier recueil, davantage en tout cas que dans le recueil Guiran où le support épigraphique n’est pas systématiquement pris en compte. Le travail de relevé se caractérise ainsi par la transcription la plus fidèle possible des éléments observés. Séguier s’efforce de conserver les proportions, même s’il ne relève pas encore les dimensions, contrairement à ce qu’il fera après son arrivée à Vérone. Il s’attache davantage encore à restituer avec précision la forme des lettres, en respectant scrupuleusement les tailles, les caractères et les ligatures.

Les 442 inscriptions que contient le manuscrit, dans son état de 1732, à 22 exceptions près, sont toutes numérotées et accompagnées d’une indication de provenance en latin. Près d’un quart d’entre elles sont issues de sources imprimées et manuscrites :  23 viennent du Poldo d’Albenas, 14 du livre de Grasser et 53 sont extraites des Inscriptiones Antiquæ de Gruter[8]. Séguier a par ailleurs eu accès au manuscrit Davin : il en tire 14 mentions. S’il n’a visiblement pas eu en main le manuscrit Rulman, alors entre les mains de l’abbé Bégault, il a pu parcourir celui de Guiran dont il cite 18 inedita.

Près des trois quarts des transcriptions proviennent de relevés directs, réalisés à partir des originaux dispersés dans la cité et ses alentours. Il dessine et retranscrit ainsi les 27 inscriptions qui subsistent dans l’ancien couvent des augustins, qui avait abrité à la fin du xvie la collection Besserié, mais aussi 24 auttres dans l’hôtel de Latour et 11 dans la cour de l’hôtel de Massip. 14 proviennent par ailleurs du « tambour » de la Porte de la Couronne, dans les murs duquel elles avaient été insérées en 1525 par d’Albenas père[9]. La présence de ces traces du passé romain reste alors très visible dans la cité, revêtant une forte attache identitaire, tout en révélant le statut et la qualité du possesseur. La collection rassemblée par François-Hercule de Massip, avocat général du Présidial, en est un bon révélateur, tout comme celle que Léon Ménard commence alors à rassembler dans un petit jardin qu’il possédait près de l’Esplanade. Ces éléments lapidaires connaissent en réalité une relative mobilité, rendant leur identification parfois difficile moins d’un siècle après, comme Ménard et Séguier en font l’expérience dans les années 1750-1760.

Ces inscriptions font par ailleurs l’objet d’un classement. Aux inscriptions à caractère religieux (pl. 1 à 4), succèdent celles émanent des autorités impériales, y compris les bornes milliaires (pl. 5 à 12). Viennent ensuite les inscriptions révélant des magistratures et des sacerdoces, sans que l’on puisse distinguer de sous ensembles (pl. 13 à 24), puis les inscriptions signalant des métiers (pl. 26 et 27), et enfin celles qui concernent des plébéiens, esclaves et affranchis, sans distinction de catégories (pl. 28 à 80).

Ce premier recueil reste donc avant tout un catalogue : un « recueil sans notes », pour plagier la terminologie de Ménard. Les « notules » sont réduites au minimum. Tout le travail « d’explication » est absent, contrairement à ce que fera Ménard en 1758 dans le tome VII de son Histoire civile, littéraire et ecclésiastique de la ville de Nîmes. Il est vraisemblable toutefois que la composition soignée de ces planches n’ait été qu’un travail préalable à la rédaction de l’ouvrage que Séguier comptait consacrer aux Antiquités nîmoises avec son cousin, Raymond Novy de Caveirac, comme le montrent les correspondances échangées avec le père Panel, mais surtout avec le baron de La Bastie[10]. Elles révèlent à cette date un Séguier parfois hésitant, quelquefois maladroit. La Bastie ne l’épargne d’ailleurs guère affirmant au président de Mazaugues qu’il a du lui « expliqu[er] bon nombre d’inscriptions de Nîmes, où de bonne foi il ne voyait goûte[11] ».

Ce premier recueil n’est en tout cas pas retouché après 1732, à l’exception de quelques rajouts, datés des années 1760, et de quelques mentions griffonnées par une main inconnue sous le Premier Empire. Les inscriptions nîmoises collectées ultérieurement – en très grand nombre – seront par la suite rassemblées dans d’autres recueils, chargés de notes et de corrections, sans cesse amendés, qui servirent visiblement d’état préparatoire à la composition du grand index[12].

 

[1] Anciennement 13801

[2] Respectivement : Bibl. mun. de Nîmes, ms 574, BnF, ms fr. 8651 et bibl. mun. de Nîmes ms 301(copie de Graverol) et Österreichische Nationalbibliothek, cod. 7047-7048 (ms original). Les manuscrits antérieures (Première moitié du xvie siècle)de Louis Bosquier et de Jean Robert, cités par lacroix du Maine, sont alors perdus).

[3] Elle passe ensuite dans la bibliothèque de l’abbé Bégault, avant d’être racheté par Nicolas Mahudel. Léon Ménard l’acquiert en 1744.

[4] Charles-Joseph de La Baume, Traité sommaire des antiquitez de la ville de Nismes, 1701 [ms.] Son fils, Joseph, composa une Description des antiquitez de Nismes, dont il existe deux versions, 1719 (1ère éd.), 1739 (2nde éd.).

[5] Bibl. mun. de Nîmes, ms 415.

[6] Nouvelle description des antiquités de la ville de Nismes recueillie des meilleurs auteurs anciens &modernes, Nîmes, 1726 (rééditée en 1737).

[7] Séguier lui envoie ses premières dissertations, que le jésuite amende et corrige. Bibl. mun. de Nîmes, ms 129.

[8] La présence des inscriptions contenues dans les Miscellanea eruditae antiquitatis de Spon est systématiquement indiquée.

[9] L’épigraphie à Nîmes, Musée archéologique de Nîmes, Nîmes, 1987.

[10] Bibl. mun. de Nîmes, mss 139 (La Bastie) et 147 (Panel)..

[11] Bibl. mun. de Nîmes, ms 153. Lettre du 28 janvier 1733.

[12] Il s’agit pour l’essentiel des ms102, 110 et 126.

Métadonnées

Identifiant

ark:/67375/7Q9VWKr99vhR

Période concernée

1728-1732

Fichier texte

texte 31

Référence(s) bibliographique(s)

Claude Nicolet, « Le véritable projet de Jean-François Séguier », in Alla signora, Mélanges offerts à Noëlle de la Blanchardière, Collection de l’École française de Rome, 204, Rome, 1995, p. 311-328
Michel Christol, « Jean-François Séguier et l’épigraphie », Bulletin de l’École antique de Nîmes, 26, 2006, p. 3-16.

Identifiant

ark:/67375/7Q9VWKr99vhR

Licence

Citer cette ressource

François Pugnière. Un premier recueil épigraphique : le manuscrit 109, dans Matières à penser Jean-François Séguier (1703-1784), consulté le 30 Janvier 2025, https://kaleidomed-mmsh.cnrs.fr/s/vie-savante/ark:/67375/7Q9VWKr99vhR

Collection

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Tabula 54. Bibl. mun. de Nîmes, ms 104.

Métadonnées

Auteur

Numérisation IRHT

Source

Bibl. mun. de Nîmes, ms 109.

Date

1728-1732

Fac simile du ms 109, réalisé vers 1840-1850 par Auguste Pelet. Bibl. mun. de Nîmes, ms 504.

Métadonnées

Auteur

Ville de Nîmes

Source

Bibl. mun. de Nîmes, ms 504.

Date

Vers 1840

Licence

Bibl. mun. de Nîmes, Ville de Nîmes.

Cour de l’hôtel de Massip par Jean-Charles Perrin (1754-1831), déb. XIXe.

Métadonnées

Fichier

Perrin MVN 2.jpg

Auteur

Cliché François Pugnière

Date

Début XIXe s.