Un mystère bibliographique
Auteur du texte
Texte
Texte
La bibliothèque municipale de Nîmes conserve un exemplaire du Campi Elysii. Liber secundus des Olof Rudbeck, père et fils, publié à Uppsala en 17011. En apparence, rien d’extraordinaire : il s’agit d’un ouvrage de botanique de bonne taille (240 pages in folio), consacré aux plantes à bulbe et illustré de gravures sur bois, produit de l’édition scientifique suédoise d’avant Linné. Olof Rudbeck, le père (1630-1702), est un médecin et naturaliste majeur de son époque : c’est l’un des inventeurs du système lymphatique et une figure centrale de l’université d’Uppsala, où il fait construire une coupole astronomique et un amphithéâtre anatomique et dont il rédige le catalogue des plantes du jardin botanique. C’est aussi l’auteur d’une Atlantide dans laquelle il défend l’idée que le continent mythique ne pouvait être que la Suède.
Le Liber secundus mérite pourtant d’être regardé de près. L’ouvrage fait partie des raretés bibliographiques de l’Europe moderne. C’est un cas original d’édition dont le second volume (1701) a été publié avant le premier (1702), dans l’idée que les plantes à bulbe seraient une meilleure publicité auprès des lecteurs que les graminées du premier volume. C’est surtout un ouvrage rarissime, dont le tirage a été presque totalement détruit par l’incendie qui ravagea Uppsala le 27 mai 1702 et en particulier la cathédrale, où étaient conservés les exemplaires des deux premiers volumes, le manuscrit de l’œuvre et la plus grande partie des planches gravées sur bois destinées à illustrer les dix volumes suivants2. La rumeur dit qu’Olof Rudbeck mourut sous le choc. En 1831, le bibliographe Johan Emanuel Wiström ne localise qu’une vingtaine d’exemplaires du Liber secundus, onze en Suède et sept dans des bibliothèques européennes, dont un seulement en France, celui d’Antoine Gouan à Montpellier. L’exemplaire que Séguier doit avoir vu à la Bibliothèque du roi, à Paris, au moment de composer sa Bibliotheca botanica (il le signale par les initiales B.R.) n’apparaît ni dans le recensement de Wiström, ni dans l’actuel catalogue de la BnF.
L’ouvrage est mentionné à plusieurs reprises dans la correspondance entre Séguier et Antoine Gouan3. Né en 1733, le botaniste est d’une génération plus jeune que Séguier. À cette époque, il a déjà publié le catalogue des plantes du jardin botanique de Montpellier (1762) et une Flora monspeliaca (1765) d’inspiration linnéenne. En novembre 1766, Gouan demande à Séguier de « profiter du passage ou départ de ses amis pour les États » – c’est-à-dire de la grande migration des élites à l’occasion de l’assemblée des États de Languedoc – pour lui faire passer son exemplaire de Rudbeck, en même temps que d’autres livres et « un cahier des oignons, ail, porreau etc. ». Quand et comment Séguier est-il entré en possession de ce rare ouvrage ? On n’en sait rien, d’autant que le titre ne figure pas dans le catalogue domestique de la bibliothèque du savant nîmois, dressé en 1760.
Antoine Gouan utilise l’ouvrage pour identifier les espèces dont il a récolté les bulbes dans les Pyrénées, qu’il a replantées dans son jardin et qu’il voit pousser au printemps 1768. L’échange est représentatif de la manière dont les botanistes travaillent en confrontant les livres et les plantes, dont ils naviguent entre jardin, herbier, texte et représentations figurées. Il illustre la difficulté qu’il pouvait y avoir à distinguer ou à rapprocher les plantes, selon qu’on les voit sortir de terre, gravées en noir et blanc, séchées sur du papier ou décrites en mots. En juin 1770, Gouan envoie à Séguier « un paquet contenant un Ornithogalum que je portais des hautes Cévennes et des Pyrénées », dont la fleur « est constamment d’un jaune soufré et jamais blanche ». C’est l’espèce qu’Olof Rudbeck désigne comme Ornithogalum majus et que Linné appelle Ornithogalum pyrenaicum. Mais Gouan tique sur la description que Linné fait de cette plante, qu’il dit être à fleurs blanches. Doit-on alors la considérer comme une variante de l’espèce à couleur soufrée, ou le botaniste suédois s’est-il trompé sur la couleur en ne l’ayant vue que « dans un herbier sec et décolorée » ?
Reprenons le fil de notre enquête bibliographique. En mars 1771, Gouan a encore le livre dans sa bibliothèque. Après sa mort en 1821, le médecin Pierre-Joseph Amoreux publie une notice descriptive de l’ouvrage de Rudbeck. Il indique l’avoir acquis de la bibliothèque de Gouan, qui l’avait lui-même reçu « en présent d’un riche Polonais ou Suédois »4. C’est probablement celui que le bibliographe Johan Emanuel Wiström mentionne en 1831. Pourtant, on n’en trouve pas trace à Montpellier aujourd’hui. En 1836, le titre figure dans le catalogue de la bibliothèque municipale de Nîmes publié par le bibliothécaire J.-É. Thomas de Lavernède. Le volume, que l’on peut toujours consulter à Nîmes, comprend une note manuscrite de la main de Pierre-Joseph Amoreux, portant une liste de titres extraits de la Bibliotheca botanica de Séguier. Il s’agit probablement de l’ouvrage de Séguier emprunté par Gouan en 1766 et acquis par Amoreux en 1821. Pourquoi le naturaliste nîmois n’avait-il pas inscrit l’ouvrage dans son catalogue domestique ? D’où vient l’histoire du présent fait à Gouan par un voyageur étranger ? Dans quelles circonstances le livre est-il revenu à Nîmes après la mort d’Amoreux, soixante ans après en avoir été enlevé ? La trajectoire du Liber secundus est encore pleine de traits d’ombre.
Métadonnées
Identifiant
Période concernée
Fichier texte
Identifiant
Licence
Citer cette ressource
Collection
Jean-François Séguier, Bibliotheca botanica, La Haye, Jean Neaulme, 1740
Métadonnées
Description
Notice du Liber secundus examiné à la Bibliothèque du roi (B.R.)