Les bains de Caldiero

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Écrivant à Linné en 1746, Séguier évoquait le « grand ouvrage » qu’il méditait. Cet opus magnum devait former « un corps entier de toute l’histoire naturelle », se focalisant sur le Véronais et les monts du Vicentin. Il venait alors de publier en deux volumes ses Plantae veronenses, seu Stirpium quae in agro veronensi reperiuntur methodica synopsis (1745) et travaillait à la réalisation des planches de ses Pétrifications.
        La préparation de son ouvrage sur les fossiles du mont Bolca amène Séguier à s’intéresser aux phénomènes volcaniques et géologiques, et particulièrement à la question des sources d’eau chaude. Ses papiers abritent ainsi quelques notes, plus ou moins mises en forme, relatives à cette question, notamment dans les carnets de voyage1. Au gré des liasses émergent aussi des états plus aboutis, accompagnés de croquis, qui dépassent la simple volonté de « faire mémoire ». Les quelques feuillets consacrés aux bains de Caldiero sont à ce titre particulièrement intéressants.
        Ces sources thermales que l’on connaît aujourd’hui sous le nom de Terme di Giunione, à 15 km à l’est de Vérone, au pied du mont Rocca, se trouvent à proximité de la petite ville de Caldiero. En l’absence de découvertes archéologiques importantes, il est difficile aujourd’hui d’appréhender les phases d’occupation du site antérieures au XIIIe siècle, même si d’importants vestiges proto-historiques, datable de l’Âge du Bronze, ont été mis au jour sur le mont Rocca. On ne connaît par ailleurs quasiment rien des aménagements antiques. Les premières mentions des « bains » remontent au XIIIe siècle. Le site est alors connu sous le nom de Masera, dérivé de Macera, car la vasque principale servait à la macération du lin, exploité abondamment dans la région.
        L’intérêt grandissant pour les eaux thermales, dont l’usage est prôné par l’université de Padoue, tout comme la longue période de paix consécutive à la domination vénitienne, qui stimule les investissements fonciers de la noblesse véronaise dans l’ensemble du contado, favorise cependant une forme de retour aux origines. La commune de Vérone prend ainsi des mesures de protection, notamment en 1458 où elle prohibe l’utilisation des eaux pour faire macérer le lin. Les aménagements subsistants sont alors remaniés et embellis. Ils constituent aujourd’hui un précieux témoignage de l’architecture thermale de la Renaissance, même s’ils ont été en partie repris en 1794. De forme circulaire, la grande vasque, la Brentella, est entourée d’un mur percé d’une seule et unique porte. Son accès, payant, est dès le XVIe siècle confié à un gardien, le « baigneur » évoqué dans les notes de Séguier. Il existe également une autre vasque, la Cavalla, mais elle n’est pas revêtue de parements, ni close.
        L’engouement pour les bains, qui ne cesse de croître dans la première moitié du XVIe siècle, attise très tôt la curiosité des savants, qui s’intéressent notamment aux vertus médicales des eaux et à sa « tiédeur ». Le médecin véronais Aleandro Pindemonte est le premier à décrire les propriétés de ces eaux2. Il faut cependant attendre la seconde moitié du XVIe siècle pour que le camadule Bonaventura Minardo d’Este procède à des observations plus poussées, en identifiant notamment les sources (il en dénombre sept) et aux autres affleurements « bouillonnants » que l’on trouvait dans la contrée3. Séguier connaissait bien ces travaux. Il possédait les deux, y compris la traduction italienne du premier.
        Rien ne permet malheureusement de déterminer la date à laquelle il procède à ses propres observations. Dans les années 1740, les Terme avaient connu un déclin marqué, amorcé dans les premières décennies du XVIIe siècle, à la suite des mesures sanitaires prises au moment de l’épidémie de peste de 1628-1631. Le complexe, s’il fonctionnait encore, avait perdu de son importance mais restait fréquenté une partie de l’année.
        C’est en compagnie du conte Carminati et des siens (qui possédaient des terres à proximité), de l’archiprêtre de Caldiero, Pietro Reglazzoni, et du « baigneur » Giovanni Battista Masconale, que Séguier procède à une série de sondages pour compléter ses observations. Il s’agissait d’évaluer la profondeur des « bouillonnements » ainsi que la pression des eaux de sortie. Pour cela, un « pieu de fer » pointu, mesurant 2 pieds 3 p. de Vérone (un peu plus de 70 cm), est fixé au bout d’une perche de 19 pieds (soit 6,40 m). Les observations portent sur le sondage des « trous » (les boli) qui garnissent le fonds de la Brentella et de la Cavalla.
        Les documents contenus dans le ms. 766 permettent d’identifier les états successifs du travail de relevé. Un premier feuillet, rédigé en italien, contient l’essentiel des informations, ainsi que deux schémas cotés (en coupe et en plan), levés à l’encre, de la piscine principale, contenant le Brentella et la Brenta, que Séguier différencie, contrairement à l'usage actuel qui n’a conservé que la première dénomination. Le dessin contient l’essentiel des informations. On trouve également, sur un autre feuillet, un plan en élévation de la même vasque, reportant les profondeurs d’eau des 10 sondages effectués. Un autre feuillet, plus grand et plié en deux à l’origine, contient le dessin très précis, toujours à l’encre, représentant « la petite squille qui se trouve dans les bains de Caldiero », en fait le Cancer Pulex décrit par Linné en 1758 et connu dans la région sous le nom de Saltarello. Les quelques lignes – en français – qui se trouvent en dessous de la figure précisent que l’on trouvait également des « petites Aulæ (Rutilla aula ou gardon) », mais aussi des anguilles et des grenouilles communes, sans plus de précision. Il est intéressant de noter que Séguier ne reprend pas la mention des poissons dans l’état second de la rédaction, mais qu’il y rajoute des « serpents d’eau », absents du feuillet en question.
        C’est probablement à partir de ces notes qu’il rédige avec soin, en français, le petit mémoire mis en forme intitulé « Bains de Caldiero ». Il est en en tout point conforme à ses habitudes de travail, du moins en ce qui concerne la première page. L’espace est ainsi divisé en deux et le texte est rédigé à gauche. Les rajouts et les repentirs sont ensuite écrits dans la partie droite, laissée libre. Le texte même reprend pour sa part toutes les informations des folioni, mais développe davantage la narration, en décrivant notamment avec précision la méthodologie employée. Il comprend également un état de la flore repéré, relativement plus précis. Séguier observe ainsi la présence de Myriophyllum pinnatum de Chara non fragilis dans la zone des bouillonnements, mais ne s’intéresse curieusement guère à ce que l’on trouvait aux abords des bassins et du ruisseau.
        La seconde page de la feuille ne reprend pas toutefois cette disposition car elle comprend dans sa partie haute un dessin à l’encre de la Cavalla et du ruisseau d’alimentation. On trouve aussi un dessin du pieu de fer utilisé pour les sondages. Les informations reportées dans la partie basse de la page sont très denses et passablement enchevêtrées, contenant à la fois la légende des 13 trous sondés dans la Cavalla, avec les mesures correspondantes, et des informations très précises sur le pieu de fer et la manière dont il fut rejeté « avec force » après avoir été introduit dans certains « bouillonnements ».
        En l’état, la description des bains de Caldiero est relativement sommaire. Il s’agit avant tout d’observations qui ne donnèrent matière à aucune explication, ni à aucune étude systémique, comme avait pu le faire le frère Bonaventura Minardi en tentant d’établir un lien entre les différentes sources et les « bains » et comme le feront Matteo Barbieri et Zenone Bongiovanni en 1795 en publiant leur Illustrazione delle terme di Caldiero nel distretto veronese. Ces quelques notes témoignent en tout cas de l’inlassable curiosité intellectuelle dont sut faire preuve Séguier tout au long de son existence, explorant avec la même minutie les rives de l’Adige4 ou les monts du Véronais et du Vicentin.

[1] Bibl. mun. Nîmes, ms. 104.
[2] Annotationes Ioannis Antonii Panthei Veronensis... De thermis Caldarianis : quae in agro sunt Veronensi. Veronae urbis: Agrique Veronensis : atque Hermolai Barbari episcopi laudes. ... Venise, 1505.
[3] De balneis Calderii in agro Veronensi [olim Gauderii dictis Junoni sacris] eorumque antiquitate, ac multiplici virtute, Venise, 1571, traduit sous le titre De’ bagni di Caldiero nel territorio Veronese, Venise, 1689 et Compendio delle regole contenute ne gli eccellentissimi autori, che de’bagni di caldiero nel territorio veronese hanno scritto del modo di usar dette acque & fango, Venise, 1571, réédité en 1594.
[4] Bibl. mun. Nîmes, ms. 104.

Métadonnées

Identifiant

ark:/67375/7Q9sW6gNmDHW

Période concernée

1736-1755

Référence(s) bibliographique(s)

Giuseppe Chiecchi, I bagni di Caldiero. Percorsi umanistici della letteratura de thermis tra erudizione, medicina e topica, Vérone, 2012.

Identifiant

ark:/67375/7Q9sW6gNmDHW

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François Pugnière. Les bains de Caldiero, dans Matières à penser Jean-François Séguier (1703-1784), consulté le 21 Novembre 2024, https://kaleidomed-mmsh.cnrs.fr/s/vie-savante/ark:/67375/7Q9sW6gNmDHW

Collection

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Plan des bains de Caldiero

Métadonnées

Description

Plan des bains de Caldiero

Auteur

Jean-François Séguier

Source

Bibl. mun. Nîmes, ms. 766, non fol. [fol. 2]. Mémoire sur les bains de Caldiero, s.d.

Date

1736-1755

Plan coté de la vasque de la Brentella

Métadonnées

Description

Plan de la vasque de la Brentella

Auteur

Jean-François Séguier

Source

Bibl. mun. Nîmes, ms. 766, non fol. Mémoire sur les bains de Caldiero, s.d.

Date

1736-1755

Cancer Pulex ou Saltarello

Métadonnées

Description

Croquis d’un Cancer Pulex

Auteur

Jean-François Séguier

Source

Bibl. mun. Nîmes, ms. 766, non fol. Mémoire sur les bains de Caldiero, s.d.

Date

1736-1755