La "maison des sciences": l'hôtel Séguier
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Vivitur ingenio caetera mortis erunt On vit par l’esprit, tout le reste appartient à la mort. Elegiæ in Mæcenatem, I, v 381 .
Sa maison était le rendez-vous de tous les savants que les beaux monuments de Nîmes attiraient dans cette ville, les personnages les plus considérables s’empressaient de l’aller voir, pour se donner, selon leur usage, l’air de primer aussi dans les sciences.
Esprit Calvet2.
L’hôtel que Séguier érige à partir de 1768, qualifié de « maison des sciences » par Esprit Calvet3 , constitue l’aboutissement tardif d’une réflexion sur l’usage et le devenir des collections, mûrie par une longue pratique du cabinet et des formes de sociabilité qui pouvaient s’y rattacher.
Sa genèse s’enracine dans la longue durée. Durant ses trois années de pérégrinations à travers les capitales européennes (1732-1736), Séguier acquiert une expérience peu ordinaire de l’univers des grandes collections. Outre celles du Roi, il fréquente assidûment le cabinet de Réaumur, visite ceux du cardinal de Polignac ou de Louis-Léon Pajot d’Ons-en-Bray. À Londres, il passe des journées entières parmi les trésors accumulés par Hans Sloane, parcourant également maintes collections privées, ainsi que les grands fonds oxoniens. Il a le privilège d’assister en octobre-novembre 1736 à Vienne à la vente du cabinet du prince Eugène, avant de pouvoir explorer les grandes collections vénitiennes, qu’il fréquentera davantage par la suite à l’occasion de ses nombreux séjours dans le Dogado4 . Ces découvertes se poursuivent par la suite en Italie, notamment au cœur de l’ancienne Étrurie et à Florence en 1738, puis à Rome en 1739 et à Milan et Turin en 1743. Son long séjour romain lui permet ainsi d’observer le fonctionnement des grandes institutions pontificales, et de découvrir les fonds remarquables du Museum Kircherianum, ainsi qu’une grande partie des grandes collections aristocratiques5 .
Sa collaboration active à l’agencement du Museo Maffeiano6 , fruit des réflexions entamées par Maffei à Turin dans les années 1720, lui permet également de joindre la pratique à l’observation, d’autant qu’il doit gérer ses propres collections, et notamment celle de ses pétrifications qui prend une ampleur non négligeable dans les années 1740 (alimentant une savante économie de l’échange) et un médaillier qui n’a rien d’anecdotique.
Cette période intense prend fin toutefois avec la mort de Maffei. L’acheminement en France de ces fonds, patiemment accumulés, n’est pas une sinécure. Séguier consacre de longs mois au tri (il ne conserve qu’une partie des fossiles) à l’emballage et à l’expédition des caisses. L’essentiel des pièces emprunte la voie de mer, à partir de Venise. Débarquées à Marseille, les caisses sont acheminées à Nîmes, où elles sont réceptionnées par l’abbé René Séguier, qui a loué pour son frère un grand appartement au second étage de l’hôtel Boileau de Castelnau. L’herbier, le médaillier et la bibliothèque, que l’aîné avait laissés dans la maison familiale en octobre 1732, rejoignent alors les collections véronaises.
Ces fonds demeurent toutefois un instrument de travail, participant pleinement de la construction savante. La réputation du propriétaire, qui s’affirme notamment avec la publication de sa Dissertation sur l’ancienne inscription de la Maison carrée en 1759, tout autant que son exceptionnelle collection de naturalia, attirent cependant un afflux croissant de visiteurs, soucieux, comme Casanova en 1769 de contempler « l’immensité de la nature et la puissance incompréhensible de celui qui l’a faite ». Les hôtes de marque découvrent avec émerveillement ces « suites » : Maupertuis en 1758, Marmontel en 1759, les ducs d’York et de Brunswick en 1767. La place manque toutefois dans un appartement passablement encombré, d’autant que les collections ne cessent de s’accroître. Où stocker notamment les grandes ardoises arborées du piémont cévenol ou la collection Fléchier de Saint-Julien, composée de stèles et de fragments d’inscriptions, qu’il achète en 1764 ?
La construction ex nihilo d’un bâtiment destiné à abriter ces précieuses suites, ainsi qu’un jardin botanique, finit ainsi par s’imposer. Séguier signe en 1767 un bail emphytéotique avec les Carmes afin d’acquérir un terrain de « 179 toises carrées » (près de 680 m²) dans l’enclos des religieux, près du carrefour des Cinq-Vies, où il possède déjà quelques biens7 . Dès septembre 1768, il peut annoncer au président Fauris de Saint-Vincens qu’il vient de faire construire un bâtiment (« l’Orangerie ») où il « a placé plusieurs inscriptions antiques » ayant « distribué plusieurs autres dans le jardin ».
Les travaux de construction de la bâtisse principale ne commencent toutefois que dans le courant de l’année 17708 . Séguier, qui en a probablement élaboré les plans, est alors très présent sur le chantier et surveille constamment l’avancée des travaux. Ce n’est que durant l’été 1772 qu’il y peut enfin faire transporter « toutes les curiosités d’histoire naturelle, les antiquités, les livres » recueillis durant sa longue carrière. La première mention d’un visiteur figurant dans le carnet de visite, qu’il tient désormais régulièrement, date du 14 janvier 17739 .
Les descriptions laissées par certains de ses hôtes (Pierre Raby, Jean-Frédéric Oberlin, Horace Benedict De Saussure) permettent d’en reconstituer aujourd’hui l’aménagement. Le rez-de-chaussée est entièrement occupé par le cabinet, les appartements privatifs occupant le premier et le second étage. L’agencement des pièces est pensé pour la visite : le vestibule donne accès par la porte de gauche, au cabinet d’antiques. Celui-ci débouche sur une autre pièce rassemblant la bibliothèque, les collections de manuscrits, de gravures, de cartes et de plans. La porte de droite permet quant à elle d’entrer dans une première pièce où sont rangés les liasses de l’herbier et le médaillier. De là, on peut gagner la grande salle qui sert de lieu de réunion à l’Académie royale de Nîmes. Les collections d’histoire naturelle se trouvent en revanche exposées et stockées dans les deux pièces de l’orangerie, dépendance située au fond du jardin, qu’il faut donc traverser. C’est dans la plus vaste des deux salles que sont présentées, sur des rayonnages ou dans des tiroirs bas, les collections de pétrifications, classées par provenance et par type. La seconde pièce, plus petite, contient essentiellement les « ardoises arborées » du piémont cévenol, ainsi que les fossiles les plus volumineux ou les plus « curieux », achetés ou acquis au gré des échanges. Le cabinet, dans sa globalité, s’il n’a rien d’un espace de démonstration ou d’expérimentation, comme celui de Réaumur10, demeure toutefois un lieu privilégié d’échanges intellectuels et savants, comme en témoignent les trois jours que passe Horace-Bénédict de Saussure à Nîmes en octobre 1776. La découverte du cabinet se prolonge d’ailleurs bien souvent, par une visite savamment guidée des principaux monuments antiques de la ville.
La mise en scène des collections n’a, quoi qu’il en soit, rien d’ostensible : elle revêt un caractère pratique et didactique. Le mobilier est ainsi d’une grande sobriété, contrairement à ce que l’on peut rencontrer par exemple dans le cabinet de Clément Lafaille à la Rochelle. Il s’agit pour l’essentiel de « tablettes », plus rarement d’« armoires » vitrées, peu pourvues en « ornements ».
L’hôtel est donc conçu, dès l’origine, comme un museum (l’expression est employée par l’abbé Bertolon) conçu pour empêcher « le dépérissement total de tout ce que je chéris ». Il ne fait toutefois pas partie de la donation de 1778 : Séguier lègue en effet la bâtisse « aux pauvres ». Elle est cependant rachetée par l’évêque de Nîmes au profit de l’académie qui en hérite pleinement en 1786, après le décès de Marianne, la sœur avec qui Séguier vivait11 . Il est alors ouvert au public « le mardi, le jeudi et le samedi, hors les temps de vacances selon l’institution de M. Séguier », mais ni la bibliothèque, ni les collections d’histoire naturelle ne sont accessibles en 1789, faute de fonds et de personnel.
La suppression des académies en 1793, qui aboutit à la confiscation des collections en 1794, entraîne le déménagement du contenu et la vente de l’hôtel en tant que bien national (23 juin 1796). Acquis initialement par la famille Pieyre, il finit par appartenir à la ville. Il devint alors rectorat de l’académie du Gard, puis siège de l’administration des domaines. Revendue en 1861, il connaît cinq propriétaires différents tout au long du XIXe siècle, avant de devenir possession de l’évêché. La construction, très dégradée, est finalement rachetée par la ville de Nîmes en 1996. Classée à l’inventaire en avril 200512 , elle est aujourd’hui inoccupée, en attente d’un projet qui en justifierait la restauration.
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Collection
Élévation de la façade l’hôtel Séguier
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Description
DAO d’après plans d'Antoine Bruguerolle, architecte DPLG.
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Date
Plan du rez-de-chaussée de l’hôtel Séguier en 1775
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Description
DAO d’après plans d'Antoine Bruguerolle, architecte DPLG.
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Date
Vestibule d’entrée de l’Hôtel Séguier
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Description
Cliché réalisé en 2009
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Date
Monogramme de Séguier (rampe du grand escalier de l’hôtel)
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Description
Cliché réalisé en 2009