Entre usages savants et agrément : les jardins botaniques de Séguier

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Thème récurrent au fil de la correspondance, le jardin botanique de Séguier demeure pourtant  mal connu : bien peu d’indices permettent d’en reconstituer l’histoire, le fonctionnement et  l’économie globale, d’autant que ces aspects ne peuvent se comprendre que de manière  plurielle. Les jardins qui se succédèrent reflètent en effet, de manière fort logique, les grandes  étapes de la vie du botaniste.
Dès le début des années 1720, Séguier, jusqu’ici essentiellement numismate et antiquaire, se  prend de passion pour l’identification et la classification des plantes. Fréquentant les jardins  de ses amis Pierre Baux et Jean Mathieu, herborisant avec eux, il assiste durant toute la durée  de ses études de droit (1723-1725) aux démonstrations du jardin des plantes de Montpellier,  acquérant, outre une maîtrise plus académique de la botanique, les rudiments de la pratique.  Rien n’indique toutefois qu’il ait alors possédé son propre espace de culture avant sa  rencontre avec Maffei, même si sa famille possède des biens fonciers à Nîmes et dans la  région de Saint-Ambroix.
Ses années de voyage à travers l’Europe lui permettent dans les années qui suivent d’acquérir  une connaissance immédiate et étendue – et rare – des principaux espaces dédiés aux savoirs  botaniques. Il fréquente ainsi assidûment le Jardin du roi, où il fait connaissance avec Antoine  et Bernard de Jussieu. À Londres, il découvre le Chelsea Physic Garden, dont il admire les  serres. Il parcourt également avec enthousiasme les allées du jardin de l’université d’Oxford.  En août 1736, il visite cette fois ceux de Leyde et d’Amsterdam, deux des plus hauts lieux du  savoir botanique. Rejoignant ensuite Vienne à grande étape, il assiste, avec regret, à la vente  des plantes du prince Eugène, avant d’arriver à Venise où il peut admirer les carrés  d’Apostolo Zeno. Bien peu de botanistes peuvent alors se targuer d’une telle expérience.
Installé à Vérone, il crée son propre hortus botanicus. La première mention remonte au mois  d’avril 1737. Il évoque alors les plantes rares poussant « dans un petit jardin qui est dans la  maison où je les cultive avec soin ». La taille et l’agencement de celui-ci sont  malheureusement difficiles à appréhender car on ne dispose d’aucune description. Il ne devait  guère être très étendu : Séguier, peu disert à son sujet, évoque en général dans sa  correspondance son « petit jardin1  ». Il cultive alors en pots et en caisses, tenant avec soin ses  catalogues de plantations. Scipione Maffei, dans le projet initial du Musei Veronensis de 1749  avait toutefois prévu d’aménager dans la cour du musée un véritable jardin botanique, bien  plus conséquent, dont la direction aurait été confiée à Séguier, comme ce dernier l’avait  exposé à Linné2 . Le projet n’aboutit visiblement pas.
Le jardin, durant toute la période véronaise, se caractérise par sa diversité et par sa densité : il  est alimenté par un flux constant de semences et de plants. En 1739, le baron de La Bastie  obtient d’Antoine de Jussieu, par l’intermédiaire de Jean-Jacques Dortous de Mairan, des  semences rares, acheminées à Vérone par un écuyer de la duchesse de Modène. Réaumur, très  attaché à Séguier, contribue tout autant à son enrichissement, tout comme Pierre Baux à  Nîmes et François Boissier de Sauvages à Montpellier. Par l’intermédiaire de Gerard Jakob  van Swinden et de Jan Frederik Gronovius, de Leyde, auteur en 1743 de la Flora Virginica, il  acquiert également des plantes d’Amérique, procurant ainsi à Apostolo Zeno un plant  d’Ananas convoité. Séguier devient ainsi en quelques années un intermédiaire de choix dans  la circulation des plants et des semences, tant entre la France et l’Italie du Nord qu’entre celle- ci et une partie de l’Europe septentrionale et centrale, où il cultive habilement sa  correspondance.
La fréquentation régulière du jardin Rizzo-Patarolo à Venise, les relations qu’il entretient avec  Giuseppe Monti à Bologne, directeur du jardin botanique, mais surtout les liens étroits qu’il  noue avec Giulio Pontedera, directeur de celui de Padoue, sont un bon révélateur de la  notoriété et du crédit qu’il parvint à acquérir en peu d’années. C’est lui ainsi qui recommande  en 1750 le jeune Pietro Arduino à Pontedera. La publication de sa Bibliotheca botanica, en  1740, puis celle des deux premiers volumes des Plantae veronenses en 1745 ont, il est vrai,  contribué à conforter sa notoriété qui se traduit à la fin des années 1740 par la multiplication  des affiliations académiques.
Séguier doit toutefois abandonner ce premier jardin en 1755, ainsi que le réseau relationnel  qui l’alimentait. À Nîmes, il renoue immédiatement avec la pratique tout en recomposant un  réseau largement centré sur le Languedoc et la proche Provence, au sein duquel s’élabore une  savante économie de l’échange, plus recentrée qu’à Vérone. Un nouveau jardin est aménagé  dans l’hôtel Boileau de Castelnau, dont il occupe le second étage. La place est toutefois  comptée et il n’hésite pas à planter des semences chez son ami Baux ou chez son oncle.
L’acquisition en 1767 d’un terrain dans le faubourg des Cinq-Vies (près de 680 m2), pour y  bâtir une maison, lui permet toutefois de bénéficier à partir de 1768 d’un espace de culture  spécifiquement défini comme hortus botanicus. Il est difficile d’en connaître l’agencement  exact. Le plan annoté de sa main, portant l’indication Noms et place des arbres fruitiers de  mon jardin3 , pourrait correspondre à un premier projet d’aménagement dont il est difficile de  savoir s’il fut vraiment mis en œuvre. Les plantes semblent pour leur part cultiver dans  quelques caisses et dans des pots de terre. Le Catalogue des graines que M. Séguier a  cultivées dans son jardin, dressé par l’abbé Pourret en mars 17774 , permet cependant d’en  esquisser les grands traits. 174 espèces y sont cultivées dans de « grandes caisses » (la plus  vaste abrite 41 variétés différentes) et au moins huit grands « vases », à quoi s’ajoutent  d’autres, plus petits, rangés le long d’un mur. Le jardin, occupant un peu moins de 300 m2, est  également planté d’arbres. Il est dès l’origine bordé d’inscriptions antiques.
Séguier, à partir de 1768, accroît en tout cas ses demandes pour peupler ce nouvel espace.  Antoine Gouan, Pierre-Jospeh Amoreux, Pierre Cusson, plus tard l’abbé Pourret, multiplient  les envois. Le jardin fait rapidement l’objet de louanges appuyées, tant pour son « bon ordre »  que pour la rigueur des « suites » cultivées et leur variété. Séguier toutefois, comme il  l’affirme à l’abbé Pourret en 1777, ne cherche plus à « multiplier les plantes », étant très  satisfait « qu’elles se trouvassent chez les autres, dès le moment [qu’il peut en] jouir de la  vue5  ».
Le jardin est donc une composante importante de l’activité savante. Au-delà même de  l’agrément ou du plaisir de posséder l’espèce rare, il est un cabinet expérimental vivant. « Je  me propose, écrit-il au président de Saint-Vincent en 1768, de [n’y] cultiver que des plantes  curieuses et qui feront le plaisir des botanistes », le jardin devant avant tout contribuer à  « augmenter [s]es connaissances et [s]on herbier ». L’abbé Pourret, butant sur une  identification, préfère ainsi lui envoyer en 1777 des graines « afin que vous puissiez  l’examiner vivante dans votre jardin ». Comme Séguier l’écrit en effet à Pierre-Joseph  Amoreux en 1778, « la pratique du jardinage habitue bien mieux l’œil à distinguer les espèces  par le port que toutes les règles des botanistes ». La praxis contribue à la perfection de  l’observation, et assure la solidité et la précision de la détermination. Séguier manie  indéniablement l’outil. La seule mention de l’emploi d’un « jardinier » est en effet tardive  (1781), bien qu’il soit fort probable qu’il ait toujours confié à des brassiers les « travaux de  peine ».
Il ne reste malheureusement rien aujourd’hui de ce précieux legs, qui, de par sa nature même,  ne put survivre à la disparition de son créateur.

[1] Lettre à Pierre Baux, 7 novembre 1747.  Lettre à Enrico Sagramoso, 17 avril 1754.
[2] Scipione Maffei, Museum Veronense, Vérone, 1749. On « médite de faire à Vérone un petit jardin botanique dans la cour formé par le superbe portique d’Inscriptions antiques que Monsieur le marquis Maffei y a fait placer à grands frais et qui vient d’être terminé […]. On pensera bientôt à exécuter le jardin dont la place est toute prête et j’en aurai le soin. » Linnean Society, L0606, fol 43. 3 février 1746.
[3] Bibl. mun. Nîmes, ms 80.
[4] BnF, NAF 6569, fol. 50 et seq. Catalogue des graines que M. Séguier a semées dans son jardin.
[5] BnF, NAF 6569, fol. 62.

Métadonnées

Identifiant

ark:/67375/7Q9czzKgCQtd

Période concernée

1736-1755
1755-1784

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Texte 24

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ark:/67375/7Q9czzKgCQtd

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Citer cette ressource

François Pugnière. Entre usages savants et agrément : les jardins botaniques de Séguier, dans Matières à penser Jean-François Séguier (1703-1784), consulté le 21 Novembre 2024, https://kaleidomed-mmsh.cnrs.fr/s/vie-savante/ark:/67375/7Q9czzKgCQtd

Collection

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Le moulin et l'enclos Séguier vers 1765

Métadonnées

Auteur

Anonyme

Source

Arch. mun. de Nîmes, FF 23

Date

1755-1784

Noms et places des arbres fruitiers de mon jardin en 1768

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Auteur

Jean-François Séguier

Source

Bib. mun. Nîmes, ms. 80

Date

1755-1784

Catalogue du pépiniériste Gautier de Nîmes. Ca. 1770

Métadonnées

Auteur

Gautier

Source

Bib. mun. Nîmes, ms. 80

Date

1755-1784