Le rhinocéros Clara. Description d'une femelle Rhinocéros unicornis de 1751
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Une exposition consacrée à Clara, femelle rhinocéros dont la tournée triomphale à traves l’Europe dans les années 1740-1750 suscita un exceptionnel engouement, est annoncée au Rijksmuseum d’Amsterdam du 30 septembre 2002 au 15 janvier 2023 (Une exposition avait déjà été réalisée à Rotterdam en 1991. Irene Verheij et Jelle W.F. Reumer, Op reis met Clara. De geschiedenis van een bezienswaardige neushoorn, Rotterdam, 1992). Rassemblant une soixantaine de peintures, gravures, dessins, médailles, ouvrages imprimés et objets divers, elle devrait apporter un éclairage exhaustif sur un événement qui, bien au-delà de l’attention que lui accordèrent les naturalistes, sut mêler enjeux de pouvoir, exotisme, et rêveries.
Cet animal, dont la littérature antique s’était fait l’écho, alimentant bien des spéculations, (notamment l’Histoire naturelle de Pline), restait alors mal connu. Avec l’hippopotame, il fut également assimilé au Béhémoth du livre de Job, ce que ne firent qu’accentuer les représentations qui se diffusèrent à partir des années 1510. La gravure d’Albrecht Dürer de 1515, la plus diffusée après celle d’Hans Burgkmair l’Ancien, avait été réalisée à partir d’une description et d’un croquis du rhinoceros unicornis envoyé par Albuquerque à Lisbonne. Ces images, fortement symboliques, eurent une influence durable en renvoyant efficacement au récit biblique, tout en donnant du poids au récit de Pline, comme on peut le constater dans les écrits de Gessner ou d’Aldrovandi. L’arrivée d’un nouveau spécimen à Lisbonne en 1577, qui séjourna ensuite à Madrid entre 1580 et 1588, permit par la suite d’affiner la représentation que l’on avait de l’animal. La gravure de Philippe Galle, réalisée en 1586 d’après nature, bien plus réaliste, ne put toutefois jamais supplanter l’image qu’en avait forgé Dürer dont le pouvoir de suggestion n’avait rien perdu de sa force.
Si un nouvel animal fût exposé à Londres en 1684-1686, puis à nouveau dans la même ville de 1739 à 1741 (Georges Louis Leclerc comte de Buffon, Histoire naturelle, t. IV, p. 334), c’est toutefois l’arrivée de Clara qui permit de renouveler le regard porté sur l’animal (Glynis Ridley, Clara’s Grand Tour : Travels with a Rhinoceros in Eighteenth-Century Europe, New York, 2005).
Capturée en 1738 dans l’Assam, Clara, âgée de quelques mois, avait été récupérée et adoptée par le directeur local de la VOC qui parvint à l’apprivoiser. Il la céda en 1740 au capitaine Douwe Mout van de Meer qui la ramena à Leyde à bord du Knappenhof. Montrée au public, elle attira très tôt de nombreux curieux. Ayant quitté la VOC en 1742, après un dernier voyage aux Îles de la Sonde, le capitaine se retira aux environs de Leyde, où il fit construire un chariot adapté à l’animal. Il débuta alors ce qui allait devenir une longue et lucrative tournée européenne, donnant naissance à terme à un incroyable bric-à-brac de produits dérivés (gravures, porcelaines, médailles). Les séjours bruxellois (1743) et Hambourgeois (1744) attirèrent d’emblée des foules considérables, mues par une irrésistible curiosité. Ce n’est toutefois qu’à partir de 1746 que van de Meer se lança dans un véritable Grand Tour : Berlin en avril, Vienne en novembre, puis Munich, Dresde en avril 1747, Leipzig durant la foire, avant d’arriver à Strasbourg en décembre 1748. Il se rendit ensuite en Suisse, avant de repartir vers Nuremberg. Après un séjour prolongé à Leyde, il gagna cour de France, arrivant à Versailles en janvier 1749, puis Paris où l’animal fut exposé à l’occasion de la foire Saint-Laurent. C’est à cette occasion, que Jean-Baptiste Oudry peignit son Rhinocéros en grandeur nature (Charles Avery, Samuel Shaw, Robert Wenley, Helen Cowie, Miss Clara and the Celebrity Beast in Art 1500-1860, Londres, 2021). Le convoi gagna alors l’Italie, via le port de Marseille, et débarqua à Naples, avant de gagner Rome en mars 1750. C’est durant ce séjour que l’on aurait scié la corne de l’animal, vraisemblablement pour des raisons de sécurité. De passage à Bologne en août, où l’animal émerveilla Ferdinando Bassi, puis à Milan en octobre, le rhinocéros parvint enfin à Vérone en janvier 1751, avant de gagner Venise où il fut portraituré cette fois par Pietro Longhi.
C’est donc en janvier 1751 que Séguier et Maffei purent observer l’animal, qu’il ne connaissait jusqu’ici « que par quelques gravures d’Allemagne ». Le marquis publia peu de temps après une Lettera sopra il Rinoceronte dans les Raccolta d’opuscoli scientifici e filologici du père Calogera, où il analysait, « pour répondre à quelques doutes qui lui avaient été proposés », les témoignages et les sources antiques. Séguier pour sa part se contenta de rédiger une série d’observations conservées à Nîmes (Bibl. mun. de Nîmes, ms 92). Après avoir présenté en quelques lignes les circonstances de la tournée « du capitaine van der Meer », il consacra la totalité de son texte à la description du Rhinocéros, dont il prit les dimensions précises, en pieds du roi et pouces, sans recourir aux mesures vénitiennes. Sa description est assez minutieuse, essayant notamment de décrire au mieux les variations du derme de l’animal. Il essaya ainsi d’en relever toutes les nuances de grain et de couleur. Ayant visiblement interrogé les « conducteurs », il rapporte également quelques remarques sur la manière de le nourrir, « avec du foin et du pain », tout en décrivant les bruits émis par la bête, qu’il compare « au souffle d’un cheval ». « Je n’ai point entendu qu’un petit cri, rapporte-t-il, et les conducteurs m’ont dit qu’il n’en pousse que quelques-uns fort faibles ». Ces quelques lignes mises au propre se résument donc à une longue description naturaliste, rédigée en français. Elles ne contiennent aucune interprétation, ni aucune hypothèse de classification. On trouve toutefois dans le même recueil un feuillet mobile de sa main rassemblant l’essentiel des mesures, en italien cette fois, ainsi qu’un extrait de lettre découpé où il est question de la vente d’une corne de Rhinocéros. Ces documents sont peu courants dans ce qui est conservé des papiers Séguier, qui ne s’intéressa à la zoologie que de manière marginale. Il n’y était toutefois pas insensible comme en atteste sa description du cabinet de Sloane en 1736. En dehors de ses Pétrifications du Véronais où la recherche des espèces « analogues » l’amena à s’intéresser aux poissons et aux crustacés, il n’en fit jamais vraiment un objet d’étude. Il maîtrisait bien en tout cas les grandes catégories de classement et s’intéressa longtemps aux travaux sur la question, possédant notamment les œuvres de Linné et de Buffon. Il s’était toutefois intéressé avec assiduité à l’ornithologie entre 1745 et 1750 quand il devint l’un des pourvoyeurs attitrés de Réaumur.
Le rhinocéros apparaît par ailleurs à quelques reprises dans la correspondance. Séguier avait visiblement envoyé une copie de sa description à Réaumur, dont il était depuis 1749 le correspondant à l’Académie des sciences. Celui-ci – pour qui le texte avait probablement été rédigé – lui en accusa réception en avril 1751. S’il le félicita « d’avoir vu le rhinocéros » qu’il avait lui-même pu observer à Paris en 1749, Réaumur ne fit cependant guère preuve d’une grande prolixité dans sa réponse. Il se borna à constater que l’animal était « digne de la curiosité d’un naturaliste » et « d’un genre qui est à lui seul » (lettre du 3 avril 1751). Sa curiosité avait été visiblement rassasiée ad nauseam : cette « nouvelle littéraire », un an après le séjour parisien du rhinocéros, n’eut aucun succès. Séguier avait probablement mal jaugé l’étendue de la rhinomania qui avait sévi de l’autre côté des Alpes. Réaumur, dans une lettre du mois de septembre, s’étendit toutefois davantage sur la question : il lui apprit ainsi que l’animal avait été peint « de grandeur naturelle par notre fameux et excellent peintre d’animaux, M. Oudry » et que de nombreuses gravures en avaient été tirées, ainsi qu’un moulage en plâtre. Séguier l’avait par ailleurs interrogé pour connaître les avis formulés par les académiciens. Pour Réaumur, il s’agissait indéniablement « d’un animal très singulier et qui ne semble pouvoir être mis dans aucune des classes des autres quadrupèdes », ayant « la sienne à part » (Lettre du 28 septembre 1751).
Séguier s’était donc intéressé à Clara autant pour satisfaire sa curiosité légitime que pour alimenter une correspondance fonctionnant sur l’échange permanent d’informations susceptibles d’alimenter le « commerce littéraire ». La teneur des lettres de Réaumur, même si les mentions relatives à l’animal sont brèves, n’est pas pour autant anecdotique : elle révèle en effet quelques-
unes des interrogations scientifiques qui agitèrent les milieux naturalistes. A quelle classe notamment pouvait-on rattacher cette créature singulière ? Ces questionnements n’avaient rien de neuf. Séguier connaissait et appréciait le Synopsis methodica animalium quadrupedum et serpentini generis de John Ray, dont la première édition datait de 1693. L’ouvrage, dont l’influence fut considérable, classait ce mammifère dans les « quadribisulques », comme le fit Jacob Theodor Klein dans sa Summa Dubiorum Circa Classes Quadrupedum et Amphibiorum en 1743. Il est impossible de savoir si Séguier eut par ailleurs en main la lettre de James Parsons, première étude scientifique consacrée à l’animal, publiée en 1743 dans les Philosophical transactions of the Royal Society. Le volume, ni aucun extrait, ne figure dans sa bibliothèque (James Parsons, « A letter from Dr Parsons to Martin Folkes, Esq., President of the Royal Society, containing the natural history of the Rhinoceros », Philosophical Transactions (Royal Society), 42 (1742-43), p. 523-541, pl. 1-3). La réponse de Réaumur est donc intéressante, en ce sens où il le rattache à une clase à part, à une époque où l’on ne connaissait fort mal l’espèce en dehors du rhinocéros indien. C’est celui que Linné allait définir selon des critères zoomorphologiques sous le nom de Rhinocerso Unicornis dans la 10e édition du Sytema Natuare en 1758, tout en admettant l’existence d’une variante à deux cornes qu’il établit seulement à partir d’un crâne (Linné ne vit jamais de spécimen vivant. Kees Rookmaaker, Bibliography of the rhinoceros, Rotterdam, 2020)
Ce n’est que dans le dernier tiers du siècle que la question connut des avancées significatives, quand les critères de distinction existant entre les différents rhinocéros, notamment entre ceux d’Asie et d’Afrique (hypothèse déjà émise par Parsons en 1743) se précisèrent. La description des premiers rhinocéros blancs remontait pourtant aux années 1650 mais il fallut attendre les descriptions de Robert Jacob Gordon, en 1778, pour que l’hypothèse se transforme en acquis scientifique. La grande famille des Rhinocerotidae, que l’on utilise encore dans la systématique traditionnelle, put ainsi voir le jour sous la plume de Gray en 1821 confirmant en partie les hypothèses de Réaumur.
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Abbildiche geschichte der auslaendischen Landthiere Zweytes Blat, vorinnen das Nashorn vor gestellet ist.
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Rhinocéros, 1747.
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Wahre Abbildung von einem lebendigen Rhinoceros oder Nashorn
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Gravure représentant un Rhinocéros, 1747.