Les oiseaux du Véronais. Séguier, rabatteur de Réaumur ?

Auteur du texte

Texte

Texte

De toutes les correspondances entretenues par Séguier durant la période véronaise, celle qu’il engageaavec Réaumur peut être considérée comme l’une des plus riches, occupant une place de premièreimportance dans les stratégies d’échanges et de circulation mises en place par Séguier entre le mondesavant parisien et l’Italie du Nord. 34 lettres de Réaumur à Séguier, échangées entre avril 1743 à mars1757, ont été conservées. Elles furent léguées à la bibliothèque de la Rochelle par Adolphe Bouyer en1884. Le corpus, qui fut publié en 1886 semble malheureusement incomplet, comme le révèle unelecture attentive du contenu des lettres (Lettes inédites de Réaumur, La Rochelle, 1886). Séguier avait fait laconnaissance de Réaumur à Paris, même si la documentation reste assez évasive. Il le rencontra de touteévidence chez la comtesse de Verteillac (à laquelle il est fait allusion dans la correspondance), dans lesalon de laquelle le grand savant, au faîte de sa renommée, se rendait de temps à autre. Lacorrespondance avec Pierre Baux révèle   de son côté la précocité des liens entretenus entre les deuxhommes : dès juillet 1733 Séguier put visiter le cabinet de Charenton, recommandé à l’abbé Nollet par lemaître des lieux (Mary Terrall, Catching the Nature in acts. Réaumur and the practice of natural history in theEigteenth century, Chicago, 2014). Il fit ensuite parvenir en août des chenilles des garrigues nîmoises àl’auteur de l’Histoire des insectes, qui travaillait alors la publication du 3e volume. Suivirent plusieurs boîtesde papillons envoyés par Baux, que Séguier mit d’ailleurs en relation avec l’entomologiste (leurcorrespondance est intégralement conservée. Bibl. mun. de Nîmes, ms 359).Les liens épistolaires qui s’établirent après l’installation de Séguier à Vérone furent réguliers, alimentantun intense réseau d’échanges fondé sur la circulation des « nouvelles littéraires » (que Séguier diffusaitensuite largement auprès de ses correspondants en Italie du Nord ou dans le Saint Empire), sur celle despublications ou sur l’envoi de spécimens. Réaumur reçut ainsi en 1743 des insectes de la région deBergame, ainsi que de nombreux fossiles du Monte Bolca, toujours choisis parmi les plus beaux et lesmieux conservés. Séguier, au-delà de l’indéniable utilité d’une telle correspondance, nourrissait de touteévidence un profond attachement pour ce célèbre interlocuteur, estime qui au demeurant semble avoirété réciproque. Réaumur le cite ainsi avec éloge dans le tome 6 de l’Histoire des insectes (Mémoire pour servir àl’histoire des insectes, Paris, 1742, tome VI, 4e mémoire, p. 98-99.) pour ses observations sur les chenilles dela région de Nîmes. Séguier devint par ailleurs son correspondant à l’Académie royale des sciences enmai 1749, affiliation qui contribua à asseoir sa renommée, bien qu’il soit alors fort éloigné du milieusavant parisien qu’il avait fréquenté marginalement 15 ans auparavant.
L’intérêt porté aux oiseaux du Véronais s’inscrivit dans cette dynamique de l’échange. Réaumur avaitcommencé en 1743 à rassembler une vaste collection ornithologique. Il possédait selon ses dires près de600 pièces en novembre 1744, « ce qui forme un spectacle dont il n’y a personne qui ne soit frappé ». Laméthode qu’il avait mise au point pour les conserver était selon lui des plus simples. Il suffisait de placer« chaque oiseau dans l’attitude où on le veut, dans une petite machine semblable en petit au travail d’unmaréchal, et après qu’il y est ajusté, de le mettre au four et de le faire sécher ». Ce n’est toutefois qu’enmai 1745 qu’il communiqua à Séguier les noms ceux qui lui manquaient, à partir de la liste intitulée« oiseaux du Véronais » que celui-ci avait dressé avec grand soin (Bibl. mun. de Nîmes, ms 92). Étant« remboursé par le Roi », Réaumur exigea toutefois que son correspondant lui communique la « note de[ses] déboursés », les oiseaux devant être envoyés dans de l’eau-de-vie. Il souhaitait également obtenirplusieurs spécimens de chaque espèce « pour [les] faire paraître dans des attitudes différentes, dont lesunes font voir la forme des ailes qui est cachée dans les autres ».
Ces espérances ne furent pas vaines. Il ne put que se louer du zèle mis par Séguier, aidé par LodovicoSalvi, pour se procurer les spécimens convoités. L’opération se heurta toutefois au prix très élevé de lagrappa qui en Vénétie était « au moins cinq fois plus chère qu’à Paris » : il conseilla donc d’employer à laplace du vinaigre, le « moins rouge » possible, ainsi que de l’alun supposé « à très bon marché dans toutel’Italie ». En mai 1746, Réaumur put donc recevoir un premier baril rempli d’oiseau, parfaitementconditionné au départ, chaque spécimen étant callé avec de la filasse imprégnée de vinaigre. La longueurdu trajet s’avéra malheureusement fatale à leur bonne conservation, d’autant que Séguier avait fait usageà son corps défendant d’un vinaigre à forte teneur en acide acétique. Les becs, les pattes et le squelettedes oiseaux arrivèrent tous déformés au point qu’il ne put sauver que les plus gros du désastre. Desespèces particulièrement rares, notamment un Carpione du Lac de Garde, furent ainsi irrémédiablement« réduits en bouillie ». L’action du vinaigre détériora également les étiquettes de parchemin dont Séguieravait muni chaque spécimen, au point de rendre l’identification hasardeuse.
Celui-ci ne se rebuta pas pour autant et poursuivit sa quête, tout en envoyant à son correspondant diversdessins de vers et de scarabées. Durant l’hiver 1746-1747, il se remit en chasse dans les environs deVérone, mais aussi le long de la vallée du Pô, parvenant à faire abattre par son chasseur un Cedrone et unegrue du Pô tant convoité. En mai 1747, Réaumur reçut donc un second tonneau dans lequel tous lesspécimens arrivèrent cette fois parfaitement conservés, à l’exception des plus petits, dont le bec s’étaitdétérioré dans l’eau-de-vie. Chaque oiseau avait été muni d’une cordelette garnie de nœuds « à lapéruvienne » qui renvoyaient à une table où figuraient les noms d’usage et les dénominations savantes.Non content d’expédier des oiseaux, Séguier mit par ailleurs Réaumur en relation avec Johann HeinrichZorn et Franz Ernst Bruckman, avec qui il était en correspondance, pour lui procurer quelquesexemplaires d’Allemagne. Il expédia par ailleurs une nouvelle caisse en novembre 1747 qui parvint enFrance en janvier 1748. Tous les oiseaux arrivèrent cette fois « dans le plus parfait état », et notammentun petit aigle qui combla d’enthousiasme Réaumur, à quoi s’ajoutèrent trois espèces qu’ils ne possédaientpas. En mai 1749, il lui fit parvenir également le plus bel ichtyolithe de sa collection, dont il se sépara, enmême temps qu’une caissette de pétrification et une autre remplie d’oiseaux, tous parfaitement conservésdésormais grâce à un savant mélange de chaux et d’eau-de-vie.Par la suite, les correspondances s’espacèrent mais Séguier lui fit à nouveau parvenir une caisse parl’intermédiaire de Carlo Allione en avril 1751, lui envoyant également diverses observations sur l’élevagedes poules dans le Véronais que Réaumur, à son grand regret, ne put intégrer dans la seconde édition deL’art de faire éclore et d’élever des oiseaux qui était alors sous presse. C’est la dernière mention d’envoid’oiseaux qui figure dans la correspondance, contrairement à ceux d’insectes qui se poursuivirentjusqu’en 1757. Réaumur avait pu obtenir toute ce qu’il souhaitait.Correspondant de ce dernier à l’Académie à partir de mai 1749, Séguier continua par la suite à alimenterun « commerce littéraire » profitable, en diffusant largement les nouvelles de première main que luienvoyait régulièrement celui qui fut directeur de l’institution en 1747 et en 1753. Leurs échanges sepoursuivirent également après le retour de Séguier à Nîmes qui continua à lui faire parvenir diversescuriosités » dont un crabe pétrifié qu’il lui avait promis en 1747 et divers « échantillons de mines » desCévennes.
La mort de Réaumur, en septembre 1757, affecta de toute évidence Séguier qui témoigna toujours del’admiration qu’il nourrissait pour lui. Les échanges intenses qu’ils avaient entretenus pendant plus de 20ans avaient fini par nourrir une véritable amitié, qui semble avoir dépassé le cadre de l’échange de bonsprocédés. Si Séguier contribua à enrichir les collections du cabinet de Charenton, put égalementbénéficier de la protection constante de Réaumur qui lui envoya de nombreuses et coûteusespublications tout en lui permettant d’être agrégée à la prestigieuse Académie des sciences. Sa pertemarqua pour lui un tournant essentiel dans les liens qu’il entretenait avec la capitale, ne parvenant pas ànouer de véritables liens avec Antoine de Jussieu dont il devint le correspondant à partir de décembre1757.La précieuse collection d’oiseaux de Réaumur, qui était la plus riche d’Europe avec 597 espèces en 1757,gagna pour sa part le cabinet du roi, sur les instances de Buffon, bien que Réaumur l’ait léguée àl’Académie des Sciences. Elle permit à Mathurin Jacques Brisson, le « neveu » par alliance de Réaumur(sa tante Catherine Brisson avait épousé en 1714 le frère cadet de Réaumur, André-Jean-Honoré) devenuconservateur de son cabinet, de nourrir son Ornithologie en 6 volumes, malgré l’hostilité de Buffon et deson entourage (Ornithologie, ou, Méthode contenant la division des oiseaux en ordres, sections, genres, espèces & leursvariétés, Paris, 1760, parue dix ans avant Histoire naturelle des oiseaux de Buffon.)
Séguier continua de son côté à s’intéresser marginalement à cette branche de l’histoire naturelle. Il dressaainsi dans les années 1760 un catalogue des oiseaux de Nîmes, très complet dont on ignore l’usage et ladestination mais ne publia jamais rien sur le sujet.

Métadonnées

Identifiant

ark:/67375/7Q9sMxWzTQmg

Période concernée

1736-1755
1755-1784

Fichier texte

Texte 22

Référence(s) bibliographique(s)

> Publications ornithologiques de Réaumur :
L’Art de faire éclore et d’élever en toute saison des Oiseaux Domestiques de toutes espèces, soit par le moyen de la chaleur du fumier, soit par le moyen de celle du feu ordinaire, Paris, 1749 (1ère éd.) et 1750 (2nde éd.)
Observations sur la digestion des oiseaux, Paris, 1752.
« Mémoire sur l’art avec lequel les différentes espèces d’oiseaux forment leurs nids», Mémoires de l'Académie royale des sciences,? Paris, 1756.

Identifiant

ark:/67375/7Q9sMxWzTQmg

Licence

Citer cette ressource

François Pugnière. Les oiseaux du Véronais. Séguier, rabatteur de Réaumur ?, dans Matières à penser Jean-François Séguier (1703-1784), consulté le 30 Janvier 2025, https://kaleidomed-mmsh.cnrs.fr/s/vie-savante/ark:/67375/7Q9sMxWzTQmg

Collection

Ouvrir la visionneuse

Lista degli uccelli

Métadonnées

Description

Liste des oiseaux du Véronais

Auteur

Jean-François Séguier

Source

Bibl. mun. de Nîmes, ms 92

Date

1736-1755

Description du Cedrone

Métadonnées

Description

Desciption du Tetrao Urogallus

Auteur

Jean-François Séguier

Source

Bibl. mun. de Nîmes, ms 92

Date

1736-1755

Catalogue des oiseaux de Nîmes

Métadonnées

Description

Catalogue des oiseaux présents dans le diocèse de Nîmes

Auteur

Jean-François Séguier

Source

Bibl. mun. de Nîmes, ms 92

Date

1736-1755