Le mémoire sur la nature des sols du diocèse de Nîmes (1763)
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Le premier tome de la réédition de la Bibliothèque historique de la France du père Lelong, paru en 1768, signale dans la rubrique Traité sur les terres l’existence d’un mémoire manuscrit sur la nature du sol du diocèse de Nîmes rédigé par « M. Séguier, secrétaire de l’Académie de cette ville » (notice 2690, p. 152). La notice précise que ce travail avait été rédigé après que l’intendant de Languedoc, Jean-Emmanuel Guignard de Saint-Priest, eut communiqué aux académies de son ressort un questionnaire imprimé sur les moyens de distinguer les qualités et propriétés des terres et des pierres. L’écrit de Séguier, resté à l’état manuscrit, semble malheureusement ne pas avoir été conservé dans les archives de l’intendance, ni dans les fonds nîmois, où ne subsistent que quelques notes, dont un texte de Pierre Dardailhon sur les pierres à bâtir qui fut intégré dans la réponse (Bibl. mun. de Nîmes, ms 92). Séguier ne chercha guère à diffuser son texte mais il en confia cependant une copie au marquis de Méjanes en avril 1775, qui en avait « ouï le plus grand éloge » (Bibl. mun. de Nîmes, ms 145). Elle n’a pas été non plus conservée dans les fonds aixois.
Ce texte peut au premier abord sembler marginal dans la production écrite de Séguier. Pierre-
Étienne Stockland (Pierre-Étienne Stockland, « Travailler la terre, la plume et la charrue. Le « réseau agronomique » de Jean-François Séguier », dans Écriture épistolaire et production des savoirs au XVIIIe siècle, Paris, p.143-157), a en effet montré que Séguier n’avait rien d’un praticien dans le domaine de l’agronomie et que s’il témoigna toujours d’un vif intérêt pour les techniques agricoles, il ne semble guère s’être adonné à la moindre expérimentation à grande échelle, bien que propriétaire terrien. Son attention se focalisa essentiellement sur ses jardins qui demeuraient avant tout des espaces dévolus à la botanique. Il est d’ailleurs significatif qu’il ait affermé dès son retour à Nîmes les importants biens fonciers qu’il détenait autour de Nîmes et dans les environs de Saint-Ambroix où se situait son domaine de Roussas, se contentant d’un grand périple annuel pour surveiller le produit des moissons.
Ses connaissances étaient vastes mais elles reposaient principalement sur l’observation, pratique dans laquelle il excellait comme le révèlent ses notes, et sur une culture livresque encyclopédique. L’Index librorum de re rustica et de hortorum cultura, qui compose la Pars Tertia de la Bibliotheca Botanica qu’il avait publiée entre 1733 et 1740, montre qu’il avait acquis dès ses années de pérégrination une bonne connaissance de la littérature agronomique, qu’il n’eut de cesse d’enrichir par la suite. Lecteur assidu de Duhamel du Monceau, qu’il admirait, il accumula un grand nombre de notes, conservées pour l’essentiel sous forme de feuillets mobiles. Il s’intéressa ainsi, entre autres exemples caractéristiques, à la culture du riz dans la région de Vérone ou à l’emploi des plantes fourragères. Les liens épistolaires qu’il entretint avec quelques grandes figures du monde de l’agronomie, comme l’abbé Rozier, montrent cependant que l’on le consultait surtout pour sa maîtrise peu commune des savoirs botaniques. L’abbé l’interrogea à ce titre à plusieurs reprises sur les variétés de blés ou sur les différents types de raisins cultivés en Languedoc, sans s’étendre sur les pratiques et les modes de culture. Les écrits qu’il consacra aux questions agronomiques sont en réalité fort peu nombreux et relèvent avant tout de la compilation de sources. Le premier dans l’ordre chronologique, fut celui qu’il rédigea en 1763 sur la nature des sols et sur les productions de la subdélégation de Nîmes. Il s’agissait de répondre à un questionnaire imprimé qui lui avait été adressé par l’intendant en tant que secrétaire perpétuel de l’académie de Nîmes. La société savante nîmoise ne se consacrant qu’aux belles-lettres, Séguier avait répondu « en son particulier », comme le firent au demeurant les académiciens montpelliérains chargés de la même besogne (Augustin Danyzy, Jacques Montet et Jean-Baptiste Romieu) (Pierre-Yves Lacour, Procès-verbaux de la Société royale des sciences de Montpellier (1730-1763), en cours de publication).
Le prospectus avait été adressé à l’ensemble des sociétés savantes des généralités de Toulouse et de Montpellier (L’imprimé a été mis en ligne par la bibl. mun. de Lisieux) par l’intermédiaire du Contrôle général des Finances. Il contenait les demandes des « auteurs d’un ouvrage périodique intitulé l’Agronomie » qui avaient proposé ces « questions dans la vue d’insérer les réponses dans leur ouvrage ». La parution de L’Agronomie et l’industrie, ou Les principes de l’agriculture, du commerce et des arts, avait débuté en 1761 sous la direction « d’une société d’agriculteurs, de commerçants & d’artistes ». Il est difficile toutefois aujourd’hui d’en identifier les principaux protagonistes. Barbier, dans son Dictionnaire, en attribue la paternité à Bellepierre de Neuve-Eglise, à Rousselot de Surgy et à Meslin (Dictionnaires des ouvrages anonymes, Paris, 1822, t. 1 p. 83). La France littéraire, édition de 1846, met pour sa part en avant les noms de Rousselot de Surgy, La Grange, Heuvrard et, dans une moindre mesure, le Suire, Neuve-Eglise étant celui qui aurait « fourni la généralité des matières pour la confection de l’ouvrage ». L’édition de la France littéraire de 1769 avait pour sa part mis en avant le nom de l’abbé Le Beau de Schosne, qui aurait contribué en ouvrage durant quelques mois en 1762, mais dont le nom ne fut pas repris dans les parutions ultérieures.
La publication était à l’origine une adaptation du Compleat Body of Husbandry compilé par John Hill, à partir des papiers Thomas Hales. Ce livre avait été publié à Londres en 1756-1757, avant d’être réédité à maintes reprises.
L’Agronomie fut diffusée sous forme de cahiers, en feuilles. La première partie, intitulée De la Culture des terres, fut suivie par Des productions terrestres. À partir de 1762, parurent les Principes des arts et métiers réduits en pratique, puis en 1763 les premiers cahiers d’un Corps général d’observations. La quatrième partie resta visiblement inachevée, l’entreprise s’interrompant pour des questions obscures en 1763 (Quérard, La France littéraire ou dictionnaire bibliographique, Paris, 1846, p. 182-183). Les exemplaires reliés représentent donc 6 à 7 tomes, en fonction du mode de reliure adopté. Le texte de Séguier ne put donc être exploité. Il en réutilisa toutefois une partie du contenu pour répondre à un autre questionnaire qui lui fut adressé en 1767 par le duc de la Vauguyon. Séguier avait en effet reçu en juin de cette année-là le jeune duc de Saint-Mégrins dans l’appartement qu’il occupait dans la Grand Rue. Paul-François de Quelen de la Vauguyon, qui porta le titre de duc de Saint-Mégrins jusqu’en en 1772, s’était très tôt intéressé aux questions agricoles dont il s’efforça d’acquérir une connaissance globale à l’occasion de ses voyages. C’est toutefois à partir de 1768, quand parut sa réponse à Malby dans les Éphémérides du citoyen, qu’il s’affirma en tant que physiocrate. (Marjorie Dupont, La pensée politique et juridique de Paul-François de Quélen, duc de La Vauguyon, Un engagement au sein de la doctrine physiocratique (1768-1828), Mémoire, Droit, Université de Rennes 1, 2015)
Reçu par Séguier avec beaucoup d’égards, il lui adressa quelques jours après son passage une lettre, datée d’Uzès, contenant un questionnaire sur les productions et les pratiques agricoles et commerciales de la région nîmoise (Bibl. mun. de Nîmes, ms 66). Séguier lui fit parvenir une longue réponse, solidement argumentée, dont le brouillon a été conservé avec l’ensemble des notes et des mémoires sur lesquels il s’appuya (Il lui transmit également un long Mémoire sur le commerce de Nîmes, rédigé par un tiers anonyme). L’analyse de ce fonds permet de reconstituer en partie les méthodes de travail qu’il mit en œuvre pour composer cette synthèse. Il s’adressa dans un premier temps à ceux qu’il jugeait « très en état de fournir […] les mémoires qu’il souhaite sur l’agriculture. » Ces écrits furent complétés par les données statistiques qu’il put rassembler dans les preuves de l’Histoire… de la ville de Nîmes de Ménard et dans les archives de la ville. Il rassembla ainsi un corpus de notes éparses mais il puisa en réalité l’essentiel de sa matière dans le travail qu’il avait composé en 1763 ainsi que dans un long Mémoire sur l’agriculture dont l’auteur, qu’il n’a pas été possible d’identifier, était qualifié de « citoyen zélé ». D’une grande richesse, ce travail anonyme, très inspiré des doctrines physiocratiques, fut abondamment exploité, bien que Séguier n’ait pas hésité dans ses annotations à émettre quelques réserves quand le propos lui semblait hasardeux. L’auteur estimait notamment que le négoce et la fabrique, consommatrices de bras, occupaient une place trop importante aux dépens de l’agriculture : Séguier pensait au contraire que « le nombre des commerçants se proportionne naturellement au besoin du commerce ». Il serait vain toutefois d’en extrapoler une approche dogmatique, absente en général dans les travaux de Séguier où domine une argumentation bâtie sur la construction d’hypothèses. Son travail s’appuyait largement sur des données factuelles objectives, soumises à une critique attentive. L’estimation des surfaces cultivées qu’il élabora pour répondre aux premiers points du questionnaire, réalisée à partir des relevés de 1606 et des recensements de familles de 1734 et 1762, est à ce titre un modèle de rigueur méthodologique et argumentative.
S’il exposa par ailleurs toute une série de propositions pour améliorer la situation des cultivateurs, il ne les présentât que comme le fruit des réflexions de l’auteur du mémoire anonyme, sans généraliser une pensée personnelle explicite. Le « citoyen zélé » estimait ainsi qu’il était nécessaire de mettre fin aux subventions (taxes d’octroi levées par les villes pour payer leurs dettes) tout en supprimant les directes particulières. Séguier reprit la proposition mais se contenta seulement de la rapporter. Sa réponse contient cependant quelques passages plus personnels, à la lecture desquels transparaissent quelques opinions propres. Le regard qu’il porte sur les expérimentations agronomiques les plus en vogue dans les années 1760 est particulièrement intéressant. Sans céder à l’attrait de la nouveauté, il confronte généralement ce qu’il pouvait connaître de la pratique aux résultats. S’il évoque ainsi les routines du monde agricole, il ne voit pas pour autant dans la généralisation de la charrue une recette universelle, tant il lui semblait nécessaire de s’adapter à la nature des sols et aux facultés d’investissement des exploitants. L’emploi des plantes fourragères se heurtait selon lui trop souvent à la spéculation marchande qu’entraînait le commerce des semences. Loin de toute généralisation des pratiques, il proposait donc – reprenant le mémoire anonyme – de mettre en place des bureaux d’agriculture « où il y eût des personnes entendues pour tout ce qui regarde l’amélioration du bien des campagnes ».
La contribution de Séguier à la science agronomique fut indéniablement limitée. Son approche resta avant tout celle d’un botaniste, qui, bien qu’entretenant un vaste jardin, dédié à l’étude, ne se transforma jamais en praticien. On comprend toutefois aisément que sa rigueur méthodique alliée à sa grande probité intellectuelle et à son sens aigu de l’observation ait pu séduire agronomes et physiocrates, au point de le solliciter et de l’attirer dans un domaine d’expertise qui n’était pourtant guère le sien.