Le carnet de voyage
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En novembre 1732, malgré l’opposition de son père, Séguier décide d’accompagner le marquis Maffei dans son voyage européen. Il est à la veille de ses trente ans et comprend bien que c’est une occasion unique d’échapper, au moins pour un temps, à la carrière de conseiller au présidial de Nîmes qui l’attend, et d’élargir ses horizons aux dimensions de l’immense notoriété de son compagnon de voyage. Comment capitaliser le voyage, s’assurer que rien ne sera perdu des rencontres et des expériences qui seront faites ? Trois jeux d’écritures permettent d’en retenir la substantifique moelle. Deux sont des formes classiques de l’écriture en mouvement, la correspondance (notamment avec l’ami Pierre Baux, à Nîmes1) et le journal de voyage, tel qu’il est recomposé dans les curieux Fragments de quelques notes que je fis en voyageant. Le troisième est moins commun. Il prend la forme d’un petit carnet de 32 pages, relié de maroquin rouge, qui porte aujourd’hui la cote ms. 284(1) de la bibliothèque Carré d’art de Nîmes. Au cours de son voyage, de son séjour à Vérone et encore après son retour à Nîmes, jusqu’en 1765, Séguier y porte environ soixante-dix noms, en un pense-bête qui réunit des savants rencontrés lors de ses voyages, des correspondants, des banquiers et des libraires2.
Au premier abord, on pense y trouver comme un index de son journal de bord, ou un répertoire de ses correspondants. Mais le geste de l’inscription est plus complexe et résiste à une explication simple. Le faible nombre de mentions implique en effet une inscription très sélective, dont la logique n’est pas immédiatement visible. La rationalité de l’acte d’écriture doit d’ailleurs être questionnée : rien ne dit que Séguier ait cherché à mettre systématiquement en mémoire une certaine catégorie de données, dont il faudrait simplement retrouver le « mode d’emploi », et que cette inscription n’ait pas été gouvernée, au moins en partie, par le hasard et les circonstances, les oublis et les ressouvenirs.
D’une chose on peut en revanche être sûr : ce carnet revêtait aux yeux de Séguier une certaine importance. Utilisé de manière quasi continue de 1732 à 1761, plus ponctuellement jusqu’en 1765, il traverse presque sans dommage trois décennies, un voyage européen et une longue expatriation : une longévité remarquable, s’agissant d’un objet de petite taille, nomade et utilitaire, qui suppose que Séguier ait fait preuve à son égard de certaines précautions de conservation et d’utilisation. Il est vrai qu’après l’arrivée à Vérone, les manipulations sont moins fréquentes, mais la période parisienne est dense en inscriptions et reprises, d’autant que le carnet semble aussi servir à l’occasion de bloc-notes, est corrigé lorsque les informations deviennent erronées et est parfois confié à d’autres mains. Le Suédois Jonas Meldercreutz, l’Anglais John Forbes et l’Espagnol Francisco Pérez Bayer, dont Séguier craignait peut-être d’estropier les noms, s’inscrivent ainsi eux-mêmes sur le carnet. Le soin avec lequel ce carnet rouge est conservé invite à réfléchir à ce qu’il fait que ne font pas les autres écritures. Comme celle du journal de voyage, son ouverture dit quelque chose du sentiment de rupture que doit éprouver Séguier au moment de partir avec Maffei et de sa ferme résolution de tirer le meilleur parti possible de cette aventure. La comparaison avec les noms portés dans la correspondance et sur le journal de voyage permet de dégager la « mémoire spécifique » du carnet, où se jouent sans doute les usages propres de l’objet. Alors que le journal de voyage garde trace des rencontres les plus prestigieuses pour un apprenti érudit comme Séguier, celles qui « se présentent à sa mémoire » lorsqu’il y resonge, les informations contenues dans le carnet ont en commun d’être inscrites dans une perspective utilitaire, immédiate ou lointaine, réelle ou potentielle. On peut ainsi faire l’hypothèse que le carnet fonctionne comme un réservoir d’informations sur des individus perçus par Séguier comme des ressources potentielles, des connaissances susceptibles d’être utilisées d’une manière ou d’une autre dans le futur, des sortes de « relations dormantes ». Il n’y a ainsi aucun paradoxe à ce que de nombreux noms ne réapparaissent plus dans les écritures de Séguier : ce sont autant de connaissances qui n’ont jamais été réactivées tandis que d’autres le sont, d’une manière ou d’une autre, dans les années suivantes.
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Fragments de quelques notes que je fis en voyageant en France, en Angleterre et en Hollande, L’an 1732 et suivants.
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Journal du voyage en Europe avec Scipione Maffei
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sans titre [carnet de connaissances]
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Carnet de connaissances faites au cours du voyage en Europe avec Scipione Maffei
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sans titre [carnet de connaissances]
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Carnet de connaissances faites au cours du voyage en Europe avec Scipione Maffei