La jouissance paisible de la renommée : les années nîmoises
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Tout au long de ses vingt-trois années d’absence, Séguier garde des liens étroits avec sa ville natale. Il se tient ainsi constamment informé de toutes les découvertes opérées dans le domaine de l’épigraphie ou de la numismatique, contribuant, à travers sa correspondance, à leur diffusion au sein du monde antiquaire. Sa réputation précède en tout cas son retour : associé étranger de l’académie de Nîmes en 1752, il est élu membre résident à part entière dès le mois de novembre 1755, devenant secrétaire perpétuel de l’institution en 1765, après avoir rempli les fonctions de directeur depuis 1757.
Cette implication constante dans la sociabilité académique se traduit par une rapide recomposition de ses réseaux de correspondance. Si les liens avec l’Italie ont tendance à se distendre (à peine 10 % du nombre des correspondants, au lieu de 36 % en 1755), en se recentrant sur quelques liens forts et durables, le gros de la correspondance s’ancre désormais davantage dans le royaume (les trois quarts des correspondants sont désormais des régnicoles), et plus particulièrement dans ses provinces méridionales d’où près de la moitié des nouveaux correspondants, souvent plus jeunes, sont issus. Plus largement, la France des pouvoirs et des sociétés savantes s’y affirme davantage, comme l’a montré Daniel Roche dans une étude pionnière.
Les échanges épistolaires, comme par le passé, occupent une place de première importance dans l’activité savante, Nîmes offrant selon Séguier « fort peu de ressources », comme il l’écrit au chevalier Sagramoso en 1758. La correspondance, davantage peut-être encore que par le passé, s’affirme comme une construction destinée à étayer l’activité savante, au sein de laquelle se mêlent étroitement utilités, opportunités et affinités. Elle participe ainsi autant à la circulation des idées et des références qu’à la diffusion de ses propres hypothèses, toujours étayées par d’abondantes et précises références livresques.
Les précieuses collections formées en Italie, enrichies après le retour à Nîmes par de nombreux fragments lapidaires et artefacts gallo-romains, font dès la fin des années 1750 l’objet d’un véritable engouement. La notice que l’édition de 1757 de la Conchyliologie de D’Argenville consacre au cabinet de Séguier y contribue fortement, mais la réputation du lieu s’est déjà pleinement affirmée à cette date. La visite, essentiellement celles des pétrifications et du médailler, se poursuit généralement par la découverte des antiques sous la houlette du « célèbre antiquaire » : Marmontel en profite en 1759, les comtes Mniszech en 1765. Séguier accueille ainsi en 1764 lord Hamilton et le comte de Warwick, ainsi que le duc d’York et le duc de Brunswick en 1767. Casanova, dans ses mémoires, évoque pour sa part les « merveilles » qu’il a pu y contempler en 1769, démontrant selon lui « l’immensité de la nature et la puissance incompréhensible de celui qui l’a faite ».
La découverte à la fin de 1758 de l’ancienne inscription de la Maison Carrée contribue encore à accroître la notoriété de l’antiquaire, au point de laisser dans l’ombre ses grandes publications botaniques des années 1740-1750. Reprenant une idée évoquée par Peiresc, encouragé par Ménard, Séguier reproduit par estompage, au moyen d’un échafaudage, les trous de scellement des lettres de bronze. En restituant la dédicace à Caïus et Lucius César, il peut ainsi attribuer la construction de l’édifice au règne d’Auguste (il déchiffre de la même manière, en 1778, l’inscription du forum d’Arles). La dissertation qu’il publie en 1759 est rapidement épuisée et connait même une réimpression parisienne en 1776. Son élection en tant qu’associé libre à l’Académie des inscriptions et belles-lettres en 1772, après une première tentative avortée en 1768, vient consacrer un renom qui dépasse désormais largement le cadre provincial. La réputation d’antiquaire de Séguier repose aussi, à cette date, sur le recueil général d’inscriptions qu’il avait commencé à Vérone et qui prend au fil des ans une ampleur inégalée. En 1774, il se résout à proposer l’ouvrage aux frères de Tournes (du moins la partie connue sous le nom d’Index absolutissimus), mais ne parvient jamais à le considérer comme achevé. Ce travail de longue haleine vient grossir le nombre des manuscrits restés en l’état, dont le plus saillant reste celui des Pétrifications du Véronais. Le coût d’édition des planches rebute immanquablement les libraires à qui il le propose, en 1756 à Lyon et en 1760 à Avignon…
À côté de ses propres travaux, Séguier contribue à ceux de nombre de ses contemporains, en leur offrant une aide généreuse et discrète. S’il se contente de fournir quelques notices au comte de Caylus, il collabore de manière significative à la nouvelle édition de la Bibliothèque historique, menée par Fevret de Fontette entre 1768 et 1778, ainsi qu’à quelques notices des deux rééditions de La Conchyliologie de Dezalier d’Argenville (1757 et 1780). Il apporte une aide non négligeable à Clérisseau, de passage à Nîmes en 1768, qui publie en 1778 le premier et unique recueil de ses Antiquités de la France, consacré aux monuments nîmois. Il fournit également beaucoup de dessins et de notices qui alimentent le Recueil des sceaux gothiques du président de Migieu (1779). Il communique enfin un matériau important à Court de Gébelin, au moment où celui-ci travaille à la rédaction de son Monde primitif.
La réputation de Séguier, au seuil des années 1770, est donc solidement établie, au point d’être qualifié par le père Béraud, jésuite lyonnais, « d’Œdipe » et « d’oracle ». L’analyse de ses notes et la lecture de ses travaux non publiés mettent toutefois en évidence une moindre attention portée à l’actualité savante dans le domaine des sciences naturelles après le retour à Nîmes. Si Séguier commence à employer timidement les dénominations linnéennes dans les années 1760-1770, il n’en reste pas moins fidèle aux systèmes prélinnéens, restant proche de Pontedera et de Haller. Ses travaux sur les fossiles ignorent également presque tout des travaux publiés à partir des années 1760, comme le révèle également la correspondance échangée avec le jeune Faujas de Saint-Fond. Il en va en revanche tout autrement de ses écrits ayant trait à la numismatique ou à l’épigraphie, constamment alimentés par de nouvelles références livresques. Sa bibliothèque, si elle n’a rien de quantitativement exceptionnelle, est remarquable par son exhaustivité et son systématisme.
Si l’on considère la somme de travail représentée par la constitution des collections, véritable outil de référence, et de la bibliothèque, on comprend mieux que Séguier se soit préoccupé dès la fin des années 1760 du devenir de son œuvre. Dès 1768, il acquiert un jardin situé dans le faubourg des carmes, afin d’y bâtir un hôtel destiné à abriter ce qu’il a rassemblé. Les travaux commencent dans le courant de l’année 1770 et s’achèvent en 1772. C’est dans cette « maison des sciences » qu’il reçoit à partir de 1773 les visiteurs dont il consigne les noms dans un petit carnet, comme le fait par la suite Hermann à Strasbourg. Si ce bâtiment, qui abrite également les séances de l’Académie, n’a rien d’un espace de démonstration ou d’expérimentation comme le cabinet de Réaumur, il n’en est pas moins un espace original, dans le sens où il fut conçu dès l’origine comme un muséum à part entière, mettant en œuvre une démarche didactique, fruit d’une longue expérience acquise en grande partie à Vérone.
À l’instar de Maffei, Séguier a toujours conçu un vif intérêt pour sa ville natale et plus globalement pour la res publica. Il mène ainsi à bien un premier projet de dégagement de l’amphithéâtre, en 1776, et c’est à lui que sont confiées les opérations de restauration de la Maison Carrée entre 1778 et 1781. C’est dans cette optique qu’il décide en 1778 de céder ses collections à l’Académie royale de Nîmes, dont il est le secrétaire perpétuel, à condition qu’elles soient rendues accessibles « au public ».
Peu avant sa disparition, l’Académie lui confère le titre de protecteur, alors que la ville donne le nom de Séguier à la rue qui passe devant son hôtel, au grand dam de l’intéressé. Souffrant d’érésipèle et de rhumatismes intenses, sujet à de fréquentes coliques néphrétiques, sa santé se dégrade fortement en 1783, au point qu’il doit dicter ses lettres. C’est en revenant de son jardin qu’il est frappé par « l’attaque d’apoplexie sérieuse » qui l’emporte le 1er septembre 1784.
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Plan de la ville de Nismes ancienne et moderne (1751)
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Plan de la ville de Nismes ancienne et moderne (1751)
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Vue de la ville de Nismes du côté de la Tour Magne (1752)
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Vue de la ville de Nismes du côté de la Tour Magne (1752)
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Portrait de Jean-François Séguier, pastel par Pierre-Martin Barat
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Portrait de Séguier réalisé après 1778