Naissance d’un savant (1703-1732)

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À qui cherche à éclairer le milieu social et les conditions dans lesquelles Séguier a émergé comme savant, les papiers conservés à la bibliothèque Carré d’Art de Nîmes offrent peu de matière. La correspondance, notamment, a été soigneusement expurgée à sa mort de toutes les lettres sans lien avec l’activité savante. Les historiens puisent le plus souvent à la source des Anecdotes sur la vie privée de M. Séguier que Jean-César Vincens prononce devant la Maison Carrée (alors église des Augustins) en 1785, à partir des conversations échangées avec le savant au soir de son existence1 : un récit chargé de topoi et de motifs littéraires, qu’il faut confronter aux documents d’archives et aux traces laissées dans la correspondance.
        Jean-François Séguier est baptisé le 3 décembre 1703 en la paroisse Saint-Castor de Nîmes. Son père, Dominique Séguier, est conseiller au présidial. Bien que fraîchement converti au catholicisme, il a épousé en juillet 1702 Françoise de Rozel, fille d’un commissaire de la marine et des galères, qui appartenait à la branche catholique de cette importante famille de la noblesse locale dont une grande partie était restée protestante, et avait même alimenté le Refuge. En à peine deux générations, les Séguier, marchand d’Alès, étaient ainsi passés du négoce du cuir et des étoffes – mais aussi du prêt à intérêt – à la magistrature. Jean-François reste toujours très discret sur ses origines familiales, n’évoquant guère au détour de ses lettres que sa lignée du côté maternel, apparentée à la petite noblesse locale.
        Après de solides études au collège des jésuites de Nîmes, où il acquiert très tôt le goût des études latines et de l’Antiquité (Vincens fait naître de cette époque son goût pour la collection, le racontant capable de risquer sa vie pour quelque médaille), il gagne les bancs de l’université de Montpellier en 1723 pour y étudier le droit, mais aussi la botanique, assistant avec assiduité aux démonstrations du Jardin des plantes de Montpellier. Jusqu’en 1725, ses connaissances dans ce domaine reposent sur une pratique empirique de l’herborisation, qu’il mène en compagnie de son proche ami Pierre Baux (issu de quatre générations de médecins nîmois), mais aussi de l’apothicaire Jean-Dominique Berthram et du médecin Jean Mathieu, qui possède une bibliothèque botanique de premier ordre. Dans ses Anecdotes, Vincens rapporte que son père l’aurait « rappelé auprès de lui pour l’empêcher de se perdre… ». Le topos est séduisant, mais la réalité plus prosaïque : Séguier rentre à Nîmes après avoir pris ses grades en 1725.
        Ces années de jeunesse restent malheureusement peu documentées. Seule la correspondance et le récit de Vincens permettent d’en entrevoir quelques contours. La ville de Nîmes, même si elle n’a pas encore acquis le statut d’étape importante du Grand Tour, n’a alors rien d’un isolat. Elle a été marquée, depuis les premières décennies du XVIe siècle, par l’affirmation d’une tradition savante, qui, à partir des années 1560, se distingue par son adhésion à la Réforme, à l’exception de quelques grandes figures cléricales, comme celle du chanoine Claude Bellon. Cette tradition savante s’incarne dans une longue lignée d’antiquaires (Jean Poldo d’Albenas, Anne Rulman, Gaillard Guiran, François Graverol), fortement insérée dans la Respublica literaria. Leurs œuvres, à l’exception de celles de Poldo d’Albenas, sont majoritairement restées à l’état manuscrit, mais Séguier a pu y accéder dès les années 1720 par le biais de copies (à l’exception du manuscrit de Guiran, qu’il découvre à Paris en 1733). Il semble également avoir été influencé par la personnalité peu ordinaire du chanoine Nicolas-Joseph de Folard, le frère du chevalier, dont le salon nîmois réunissait un assemblage assez disparate de beaux esprits, tant catholiques que protestants. Maîtrisant notamment le grec, mais aussi le syriaque et l’hébreu, l’ecclésiastique possédait une bibliothèque exceptionnelle et un réseau relationnel très étendu (il était très lié aux mauristes).
        Ce n’est pourtant pas avant 1728 que l’on voit se structurer un premier réseau savant autour de Séguier, sur lequel la correspondance jette quelques lumières. Destiné à prendre la succession de son père, Séguier exerce alors la profession d’avocat. Il défend notamment les intérêts du baron de la Bastie, avec qui il est entré en commerce de lettres dès mars 1728 par l’intermédiaire de son cousin Raymond Novy de Caveirac, un féru d’antiquités avec qui il avait envisagé de rédiger un ouvrage sur les Antiques de la cité. Antiquaire talentueux, le baron le met dès décembre 1728 en relation avec le président Bouhier, avec qui il échange des copies d’inscriptions.
        Les liens étroits que Séguier nourrit avec les pères jésuites, et notamment avec le père Nicolas Sarrabat qui avait enseigné la philosophie à Nîmes, puis les mathématiques à Avignon à partir de 1731, lui permettent à la même époque d’entrer en relation avec le père Alexandre-Xavier Panel, grand amateur de médailles et d’inscriptions. Bien que leur relation savante soit de courte durée (la correspondance s’interrompt en octobre 1732), elle n’en est pas moins importante, tant le jésuite contribue à l’extension des relations de Séguier au sein du monde antiquaire régional, notamment dans le Comtat et en Provence, tout en lui permettant d’accéder aux inscriptions italiennes découvertes en Italie. Dès 1731, les deux hommes envisagent par ailleurs de composer en commun un recueil général d’inscription, conçu comme un supplément à l’édition de 1707 des Inscriptiones antiquæ totius orbis Romani de Gruter, augmenté par Johann Georg Graevius.
        Quelques mois plus tard, en 1732, parait à Vérone un Prospectus universalis Collectionis latinarum veterum ac græcarum, paganicarum et christianiarum, annonçant un projet analogue mais d’une toute autre ampleur, prévoyant une dizaine de volumes. Son principal promoteur, Scipione Francesco Maffei (associé à l’antiquaire Jacopo Muselli), venait de publier sa Verona illustrata. Soucieux de recueillir les fruits d’une gloire littéraire déjà bien affirmée et de relever les inscriptions de Gaule et de Germanie, il s’était mis en route en août, gagnant d’abord Genève, puis Lyon, et enfin Nîmes, où il arrive le 25 octobre 1732.
        Si l’on en croit les Anecdotes, ce serait un jésuite, le père Berbignan, qui aurait alors recommandé le jeune avocat. Ces assertions ne correspondent toutefois guère aux rares éléments autobiographiques laissés par Séguier, qui affirme en 1749 être allé lui-même « visiter ce personnage de si grande réputation ». Quoi qu’il en soit, Maffei est suffisamment impressionné par la rigueur et la précision des relevés épigraphiques de Séguier et par son talent pour le dessin – probablement appris auprès des Natoire – pour lui proposer de l’accompagner et de remplir auprès de lui cette place d’« aiutante di studio » qu’il n’avait jamais pu jusqu’ici pourvoir.

[1] BnF, NAF 22 278.

Métadonnées

Identifiant

ark:/67375/7Q91j4GnVCHv

Période concernée

1703-1732

Référence(s) bibliographique(s)

Alfredo Buonopane, « Il Prospectus universalis collectionis di Scipione Maffei e la nascita della scienza epigrafica », Gian Paolo Romangnani, Scipione Maffei nell’ Europa del Settecento, Venise, Consorzio Editori Veneti, 1998.
François Pugnière et Véronique Krings, Nîmes et ses antiquités, un passé présent, Bordeaux, Ausonius, 2013.
François Pugnière, « Les Séguier, itinéraire d’une famille cévenole », Gabriel Audisio et François Pugnière, Jean-François Séguier, un Nîmois dans l’Europe des Lumières, Aix, Edisud, 2005, p. 21-50.

Identifiant

ark:/67375/7Q91j4GnVCHv

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François Pugnière. Naissance d’un savant (1703-1732), dans Matières à penser Jean-François Séguier (1703-1784), consulté le 3 Février 2025, https://kaleidomed-mmsh.cnrs.fr/s/vie-savante/ark:/67375/7Q91j4GnVCHv

Collection

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Vue de Nimes

Métadonnées

Description

Dessin représentant la ville de Nîmes. On distingue clairement les arènes sur la droite.

Auteur

anonyme

Source

Bibl. Mun. Nîmes, ms. 217, fol. 255

Amphithéâtre ou les arènes de Nismes

Métadonnées

Description

Dessin de l’amphithéâtre à l’encre et lavis.

Auteur

anonyme

Source

Musée du Vieux Nîmes

Date

1704

Le diocèse de l’évêché de Nismes dressé nouvellement par le sr Gautier (Amsterdam, P. Mortier, 1698)

Métadonnées

Description

Carte du diocèse de Nîmes, dédié à l’évêque de Nîmes.

Auteur

Henri Gautier

Source

Bibl. Mun. Nîmes, 44738

Date

1698

Placard de la thèse soutenue par J.-F. Séguier à l’université de Montpellier en 1725

Métadonnées

Description

Placard de la thèse soutenue par J.-F. Séguier à l’université de Montpellier in utroque jure en 1725

Auteur

Honorat Pech

Source

Bibl. Mun. Nîmes, ms. 459

Date

1725